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vendredi, 23 décembre 2005

Le grand style 10

Calaferte, encore :

"Atterrantes conneries verbales qu'a pu déchaîner chez des personnes apparemment censées cette boucherie dégueulasse que fut la guerre de 1914. (Soldat écrivant à sa fiancée qu'il attend fébrilement l'instant où sera commandé d'attaquer à la baïonnette, pour la France et pour ses mamans ! Que souhaiter à des pareils corniflots, sinon d'en ramasser un bon coup dans le bide.)
Quand on pense que parmi ces excités, il y avait un Péguy — l'esprit dérape."

(Droit de cité, p. 118-119)

"La plus exaspérante liberté"

Ayant évoqué l'autre jour, un peu par hasard, à propos de Luc Dietrich, le style de Calaferte, je me surprends à relire de lui tout ce que je retrouve dans ma bibliothèque, et tout appelle le commentaire superlatif — qu'il s'agisse de la noirceur de l'évocation de la France occupée dans C'est la guerre, de l'érotisme jubilatoire et joyeusement obscène de La Mécanique des femmes ou de la lucidité du regard porté sur la société dans Droit de cité. Ces fragments, publiés il y a une quinzaine d'années, qu'ils reviennent sur certains événements, certaines figures du passé ou constituent un commentaire rageur de l'actualité du moment, restent d'une lecture particulièrement stimulante. L'intelligence, la générosité, la hargne dressée contre la sottise, "la plus exaspérante liberté" s'y manifestent à chaque page.
À l'heure où les saltimbanques prétendent donner des leçons de civisme, où la politique se dilue dans la verbigération agressive ou lénifiante, il est bon de retrouver les emportements "politiquement incorrects" de cet "anarchiste chrétien" à la voix singulière.

"Quitte à passer pour un utopiste, il ne faut pas cesser de s’indigner, de protester, de crier haut et fort que le roi est nu. Les cloportes savent d’instinct s’infiltrer dans la moindre faille de l’édifice ; leur objectif étant son effri­tement, sa ruine, sur laquelle ils triomphent.
Il ne faut pas se lasser de les identifier ni de dire que ce sont des cloportes, non des oiseaux de haut vol, comme leur puissante confrérie tente de le faire accroire à une mul­titude mal informée.
Voilà qui vaut aussi bien pour les arts que pour la politique — au reste, il est à présent fréquent d’assister à leur amalgame dans une espèce de bouillon de culture qu’on dirait concocté par des diablotins.
La géniale formule de Shakespeare à pro­pos du pourrissement du royaume — bien entendu, il s’agit également du royaume inté­rieur de chacun de nous — prend en l’occur­rence toute sa valeur.
Quant à prétendre que le sens de l’Histoire nous conduit irrésistiblement vers les dominations de la masse, voilà qui ne sera démontré que dans le siècle à venir. Nous sommes dans un système où l’équilibre ne perd que passagèrement ses droits, ce dont il convient de se souvenir, car, quoi qu’il advienne, un homme en vaudra toujours trente mille."

(Droit de cité, Folio, 1994, p. 20-21)

jeudi, 22 décembre 2005

Vocabolario

Camauro [ca-màu-ro] — Dal lat. mediev. camauru(m), di orig. incerta.

s.m. berretto di velluto rosso orlato di pelliccia bianca a forma di cuffia, indossato dal papa.
(Dizionario Garzanti)

Selon La Croix du 21 décembre, le pape Benoît XVI a remis à l'honneur le port du "camauro", délaissé par les successeurs de Jean XXIII. Il ne manque plus au souverain pontife que la hotte et le traîneau pour concurrencer sur son propre terrain un bonhomme Noël pas très... catholique !

mardi, 20 décembre 2005

Petite anthologie portative 17

"— Tu aimes qui ?
— Les bites."

(Louis Calaferte, La Mécanique des femmes, Gallimard, 1992)

Mécomptes du lundi

Encore un lundi bien gris, bien froid, une journée bien perdue.
Lu très rapidement Catherine, de Pierre Bergounioux. Déprimant, poisseux, une impression de malaise presque physique. Quelques écrivains laissent ainsi une vague nausée, un mauvais goût dans la bouche : Jouhandeau, Luc Dietrich... Leur style a des relents de vase et de cendre.
"Une souche de châtaignier était chavirée dans l'herbe haute. Sous la première lame d'écorce, ils étaient deux — des auronitens —; côte à côte, au fond de l'alvéole qu'ils avaient creusé dans l'aubier pourrissant. Il visait plus haut. L'écorce résistait. Il faisait plus sombre. Il s'écorchait les doigts. Il souleva, au passage, des pierres, mais rien ne s'y cachait. Le fourré s'épaississait. Il repéra un autre tronc décomposé. Il se hâtait. Avec le couteau, il tailla dans les ronces, l'œil écarquillé pour ne rien perdre dans la clarté pauvre, verdâtre, et souleva de larges plaques d'écorce spongieuse. Encore un auronitens. Des larves de longicornes grasses, crémeuses..."
Le texte est comme travaillé de l'intérieur par une gangrène sournoise.
Le livre refermé, on va se laver les mains. 

dimanche, 18 décembre 2005

Blogorrhée 4

"Personne n'intéresse personne. On fait semblant. Chacun parle de soi. On écoute les autres pour pouvoir leur parler de soi. Mais au fond on s'en fout."

(Georges Hyvernaud, La Peau et les os)

Merci à L.S. Sans son récent commentaire, je n'aurais certainement pas relu Hyvernaud en cette grise après-midi dominicale.

La littérature à petit bruit

Oubliés ou méprisés, marginaux ou attardés, excentriques ou "conformistes", minores : "Ce sont eux les échansons, les vivandiers de la littérature, et leur place est autour des grands, de même que, dans un tableau à la gloire d'un saint ou d'un héros, bouffons, dévôts ou courtisans, bien souvent légèrement difformes, s'entassent le long du cadre, prêts à en sortir, à tout moment et pour toujours."
(Giorgio Manganelli, "Conformistes", in L'Almanach de l'orphelin samnite, trad. Marie-José Tramuta, Mâcon, éd. W, 1987)
Pourtant, combien de bonheurs de lecture nous ont donnés ces auteurs discrets, dédaignés par les manuels de littérature, voués aux tirages confidentiels et à l'admiration jalouse de rares aficionados !
François Bott, lui-même "échanson" ou "vivandier" des lettres, a consacré une belle série de portraits à ces écrivains "notoirement méconnus" — selon la formule désormais usée de Vialatte —, dont les œuvres sont le plus souvent absentes des catalogues des grands éditeurs et des rayons des librairies : André Beucler, Louis Brauquier, Olivier Frébourg, André-Pierre Roché, Léon Werth... Et à d'autres, un peu moins secrets : Emmanuel Bove, André Hardellet, Jean-René Huguenin, Jean Prévost... Un ouvrage à ranger à côté de l'Histoire de la littérature française de Kléber Haedens. Cela s'appelle La Planète des sentiments (Le Cherche Midi éd., 1998). Je l'ai trouvé — et ce n'est sans doute pas un hasard... dans une solderie !
La manière de Bott n'est pas sans évoquer l'esprit aimablement mélancolique de ceux qu'on appelait — étiquette trompeuse — les "fantaisistes" ; un style où la frivolité flirte avec le désabusement : "Très souvent, on ramasse les copies des écrivains longtemps après le fin de la classe. Longtemps après leur mort..." Pour certains, il doit bien arriver aussi, hélas ! qu'on ne les ramasse jamais...

samedi, 17 décembre 2005

Révérence parler

La zédille de politesse

Fopas condise queul paralloïdre cètun langorge grassier de malocru.
Oci, poréviter l’incongruite des motriviaux è des syllaboscènes, dans la grammare martélique issusage la zédille de politèse.

Esemple :
— En Borgogne ilya des souffloçuls ;
— Les chinges izont le çulpelé ;
— Jeun suisouvert l’avançuisse en çulbutant surun çul de boutaille;
— La Mièvre apour capolieu Maçon ;
— Le çonçombre è dune digeste diffiçultueuse ;
— Le versassoye ifile son çonçon porqueu les beldames elzaient des bobas ;
— La gourge cètun çuçurbitassé ;
— Méphistophel ilè çonçupissant.

Cépor les gendistingues queul paralloïdre idiça.

(André Martel, in Cheval d'attaque, n° 10-11-12, 1974)

vendredi, 16 décembre 2005

Puissance des mouches

Emprunté hier à la médiathèque locale — invariablement déserte — le Requiem de Ropartz, un vieux Coltrane, un roman de Bergounioux et Le Chagrin et la colère, de Maurice Rajsfus. Titre sans rapport immédiat avec le texte, qui, plus qu'à celui-ci, renvoie au pessimisme et aux "révoltes logiques" de l'auteur. Aucune coquetterie littéraire dans ces pages ficelées à la diable, triviales, souffrantes et vindicatives, dans lesquelles il est question de la fatalité du corps, de la douleur et, finalement, de la bêtise et de la haine.
Près de la moitié du livre est consacrée à une douloureuse fugue pascalienne sur l'humiliant ravalement à l'animalité à quoi nous condamne l'urgence d'une défécation inopinée : "Je m'étais senti vraiment misérable. Moins que rien. Le dernier des parias. Dépouillé de toute dignité. Brusquement, plus rien n'avait d'importance, d'intérêt. C'était la démission totale devant l'orage de merde déferlant..." En contrepoint, de chapitre en chapitre, la succession des épigraphes stercoraires renvoie à l'histoire familiale, à l'univers du Lager, dans lequel l'omniprésence de la merde et de la souillure s'inscrivent dans un processus concerté de déshumanisation. Rien ici de Rabelaisien. Contrairement à ce qu'affirmait le père Ubu, la "merdre" est mauvaise, la chiasse tragique se mue en métaphore du mal débondant dans le monde... Autre jeu d'isotopies, vers la fin du livre : étant posé que la diarrhée peut être une manifestation du choléra, "la police, l'esprit policier, c'est une maladie épidémique s'apparentant au choléra. Reste la peste." La place, décidément, n'est pas près d'être propre.

jeudi, 15 décembre 2005

Que lirons-nous par ces desers ?

Plus rien à lire. Une expédition jusqu'à la sous-préfecture la plus proche s'impose...
Évidemment, quand je dis "plus rien à lire", je ne prends pas en compte les livres qu'on ne peut que feuilleter, pour la centième fois, à la billebaude : fragments, aphorismes, journaux, poèmes... Sur ma table de non-travail : Le Gai Savoir, Journal des signes, de Cristóbal Serra, les Mémoires du cardinal de Retz, Exister de Follain ou la Correspondance de Debussy. Livres où l'on picore avec bonheur, sans véritablement s'y oublier...
Il y a bien aussi ces livres qu'on s'est promis de lire, qu'il faut avoir lus, et dont on n'a jamais pu dépasser la dixième page. Je n'ose l'avouer : malgré toute ma bonne volonté, il m'a toujours été impossible de terminer certains ouvrages unanimement proclamés chefs-d'œuvre : Au-dessous du volcan ou ces Versets sataniques, qui firent naguère tant de bruit — et dont Kundera dit tant de bien ; ou encore Mervin Peake, ou Günter Grass... Ils sont là, quelque part, sur quelque rayon élevé, à s'empoussiérer au fil des ans...
J'aurais envie, simplement, d'un vrai roman, lisible et jubilatoire — une histoire dans laquelle on s'embarque pour quelques centaines de pages, sans trop se demander si c'est littérairement correct. Quelque chose comme Findley : Le Chasseur de têtes ou Pilgrim... Hélas ! je crois avoir lu de lui tout ce qui a été traduit et publié en France, et le pauvre Findley, maintenant n'écrira plus jamais...