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jeudi, 08 décembre 2005

Pluie

Parti avec la pluie, je rentre du Nord avec la pluie.

Détour buissonnier par le pays d’Othe, l’Auxerrois, le Nivernais.
Brève halte à Villeneuve-au-Chemin ; sur la butte qui domine le village, l’étrange chapelle Saint-Joseph-des-Anges, construction de brique décrépite, sinistre sous le ciel bas, écrasée par la masse disproportionnée d’une énorme vierge verdâtre.
Près d’Auxerre, entre Fouronnes et Courson-les-Carrières, un lieu-dit poétiquement nommé Anus.

Non loin de Nevers, un panneau indique le site de montenoison : nous sommes sur les terres de Jules Renard :

"Je regarde ce beau pays, le clocher dont la pierre neuve ne se salit pas, Montenoison où jamais Philippe n'est allé — il est allé tout près —, et les nuages que le paysan ne regarde pas. Un nuage, pour lui, c'est une menace de pluie. Il ne sait pas que certains nuages n'ont d'autre fonction que d'être beaux." (Journal, sept. 1902)

dimanche, 04 décembre 2005

Je m'en vais ou je m'en vas... 2

Temps pluvieux, gris, froid, infect... Un temps à lire du Verhaeren ou du Laforgue devant une cheminée éteinte, en écoutant le concerto pour violon de Berg.
Demain, je pars pour Lille, où je resterai quelques jours.
Peut-être croiserai-je, sur quelque trottoir de Wazemmes ou à l'entrée d'une courée, "l'ancien guitariste d'Hervé Vilard"...

Immondicités

"... plus l’industrie de Léonie excelle à fabriquer de nouveaux matériaux, plus les ordures améliorent leur substance, résistent au temps, aux intempéries, aux fermentations et aux combustions. C’est une forteresse de résidus indestructibles qui entoure Léonie, la domine de tous côtés, tel un théâtre de montagnes.
Voici maintenant le résultat : plus Léonie expulse de marchandises, plus elle en accumule ; les écailles de son passé se soudent ensemble et font une cuirasse qu’on ne peut plus enlever ; en se renouvelant chaque jour, la ville se conserve toute dans cette seule forme définitive : celle des ordures de la veille, qui s’entassent sur les ordures des jours d’avant et de tous les jours, années, lustres de son passé."

(Italo Calvino, « Les villes continues, 1 : Léonie », in Les Villes invisibles, 1974)

La blogosphère n'est pas sans évoquer la cauchemardesque décharge planétaire des Villes invisibles. Autour de quelques "attracteurs étranges" ou de "cellules réticulaires", le chaos, la nécrose, la merde, le rien, l'indigence sans fond, la rhétorique du graffiti de latrines. Récits de grossesses et "photos de bites" (sic)... Force est de constater, sans misonéisme aucun, que les "T.I.C." ont offert à la bêtise et à la vulgarité la plus crasse la possibilité de s'exhiber et de se répandre avec une effarante énergie.

 

samedi, 03 décembre 2005

Intolérance

À méditer, en ces temps de veulerie lénifiante et de bien-pensance pleutre, cet autre passage de La Belle France :
"L'homme [...] est devenu ignoblement tolérant ; il pousse l'abjection jusqu'à s'enorgueillir de cet horrible vice. Il a cessé d'être empoigné, entièrement possédé par cette intolérance qui trempe le caractère de l'être et lui permet d'accomplir de grandes choses. Il ressent, tout au plus, des crises d'indignation ; mais l'indignation est passagère ; elle agit par à-coups, ne laisse rien derrière elle que de la fatigue et du dégoût ; ses accès se dissolvent en prières, en espoirs de réformes, en sottises ; elle donne la maladie de la justice, et non pas la soif de l'action. L'intolérance est permanente ; elle n'a cure de la justice ; c'est la défiance qui vibre en elle ; elle ne veut pas de réformes, mais des suppressions totales. Il faut être intolérant pour être libre."
Messieurs les indignés, encore un effort !

Grenache, macabeu, tourbat...

Hier soir, dégustation de vins du Roussillon.
Légère migraine ce matin.
Post hoc ergo propter hoc ?

Le grand style 9

"Il y a longtemps que Lazare n'est plus à la porte du Riche ; il est à la porte du Pauvre. Quant aux chiens qui lèchent les ulcères de Lazare, ce n'est pas parce qu'ils aiment Lazare. C'est parce qu'ils aiment les ulcères."
(Georges Darien, La Belle France, IV, Stock, 1901)

vendredi, 02 décembre 2005

Résipiscence

Il est aujourd'hui permis de faire et de dire à peu près n'importe quoi, sachant que de promptes excuses et la reconnaissance de l'erreur vous assureront, dans la plupart des cas, l'impunité.
Aujourd'hui, suite à l'affaire d'Outreau, c'est un psychologue qui vient à résipiscence :

"L'expert psychologue Jean-Luc Viaux [...] interrogé sur RTL [...] s'est excusé pour avoir employé, en marge du procès le 17 novembre, la formule : quand on paye des expertises au tarif d'une femme de ménage, on a des expertises de femme de ménage." (Voir Le Figaro, 2 déc. 2005)

Ce n'est pas un peu facile, de s'en tirer chaque fois à si bon compte ?

Youyous

Le mot youyous étant désormais porteur de connotations fâcheuses, je préconise qu'on lui préfère le plus onomatopéique et nervalien olouloulou :

"La marche était fermée par les femmes gagées, qui servent de pleureuses aux enterrements et qui accompagnent les cérémonies de mariage et de circoncision avec le même olouloulou ! dont la tradition se perd dans la plus haute antiquité." (Gérard de Nerval, "La cange du Nil", in La Revue des deux mondes, 15 déc. 1846, p. 1080)

Guignoleries politiques

Dans Le Monde, en date du 1er décembre, cet article édifiant :
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Quand M. Frêche entonne un chant colonial
Montpellier, correspondance.

Le conseil régional de Languedoc-Roussillon était en pleine discussion sur son budget, mercredi 30 novembre, lorsque Georges Frêche a pris la parole. Le président socialiste de la région a l'habitude de faire connaître ses avis, iconoclastes ou brutaux, sur à peu près tous les sujets. Cette fois, revenant sur le débat parlementaire de la veille qui avait opposé les socialistes à l'UMP sur "le rôle positif de la colonisation française" (Le Monde des 30 novembre et 1er décembre), M. Frêche a lancé : "Il est juste de reconnaître le rôle positif de la présence française en Algérie." Puis il a développé : "La colonisation, je veux bien qu'on la condamne. Mais on s'acharne sur rien du tout. Si je suis d'accord pour stigmatiser les gros colons, je salue le très bon boulot des instituteurs en Afrique du Nord." Qualifiant de "gugusses du PS qui font une opération politicienne" les parlementaires montés au créneau pour faire abroger l'article de loi, M. Frêche a dû faire face au "grand malaise" de ses amis socialistes. Et a essuyé une bronca des élus communistes et Verts réclamant une suspension de séance.
Profitant de l'interruption, M. Frêche entonna alors à tue-tête, du haut de son perchoir régional, le chant colonial C'est nous les Africains qui revenons de loin, repris en chœur par quelques élus du Front national. À la fin du couplet, le leader régional du FN, Jean-Claude Martinez, applaudit : "Bravo Frêche! Et s'ils te virent, tu sais que tu as toujours une bonne soupe de côté au FN." Au déjeuner, M. Frêche a pris à partie le porte-parole du groupe communiste, Jean-Louis Bousquet : "Tu as eu raison de réagir comme cela. A ta place, j'aurais fait pareil. Mais moi, tu comprends, je ne suis pas à Nantes [comme le président du groupe PS de l'Assemblée nationale, le député et maire Jean-Marc Ayrault], où il n'y a pas l'ombre d'un rapatrié. Ici, à Montpellier, c'est eux qui font les élections."
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Non moins édifiant, le verbatim de l'intervention de François Grosdidier, lors de la séance du 30 novembre à l'Assemblée Nationale (sur le site du Nouvel Observateur) : les réactions des députés donnent une haute idée de leur honnêteté intellectuelle et de leur dignité :

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M. François Grosdidier - Ma question s'adresse au Garde des Sceaux. Elle ne porte pas sur le racisme anti-blanc, phénomène sur lequel j'attends une réponse écrite, mais sur les mariages blancs. Dans ma commune, lors d'un mariage sur deux, l'hôtel de ville résonne de « you-you ». (« Et alors ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Ce sont de formidables moments de bonheur, de chaleur humaine que nous partageons avec les familles... (Huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains où le brouhaha couvre la voix de l'orateur)
M. Julien Dray - Ces propos sont indignes. C'est une insulte à la communauté musulmane.
M. François Grosdidier - Lors d'un mariage sur cinq, il n'y avait que les futurs époux et les témoins qui ne se connaissaient manifestement pas. (Brouhaha croissant sur les mêmes bancs qui rendent l'orateur inaudible)
M. le Président - Je vous en prie.
M. François Grosdidier - J'ai vu des époux qui avaient quarante ou cinquante ans de différence (Mêmes mouvements). L'amour peut ne pas connaître l'âge, mais lorsqu'il ignore la tendresse, cela pose problème. (L'orateur poursuit son propos dans les huées et les claquements de pupitres sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; des députés socialistes se lèvent en signe de protestation)
Sur 170 000 étrangers qui s'installent chaque année sur notre territoire, 34 000, soit 20%, le font par le mariage. La loi relative à l'immigration, qui a renforcé les pouvoirs du maire de vérifier le consentement des époux, a permis une réelle amélioration, même si les Parquets sont parfois saturés pour répondre aux alertes des maires. (L'orateur poursuit son propos, que seul un enregistrement peut ici permettre de restituer) Le plus gros problème réside dans le nombre de mariages conclus à l'étranger, dont la transcription en France est automatique et vaut obtention d'un titre de séjour.
Il faut renforcer les moyens de contrôle tout en respectant le droit au mariage, comme l'a annoncé hier le Premier ministre, à l'issue du troisième comité interministériel de contrôle de l'immigration. Monsieur le Garde des Sceaux, comment sera contrôlée la validité d'un mariage conclu à l'étranger ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; très vives marques de protestation et huées persistantes sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)
M. le Président - La parole est à M. le Garde des Sceaux. (Mêmes mouvements)
M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice - Si vous le permettez, quelques éléments d'information et de réflexion sur ce délicat problème. Lors du comité interministériel de contrôle de l'immigration présidé hier par le Premier ministre, j'ai en effet présenté un projet de loi tendant à rendre plus difficile l'acquisition de la nationalité afin de mieux contrôler la validité du mariage, en cas de mariage mixte. (Brouhaha persistant sur les mêmes bancs)
Il ne m'est guère possible de parler dans ce brouhaha, Monsieur le Président.
(Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)
Sachant qu'aujourd'hui, un tiers des mariages sont des mariages « mixtes », entre Français et étrangers, nous souhaiterions que les règles qui s'appliquent en France puissent s'appliquer demain à l'étranger et que donc l'officier d'état-civil diplomatique reçoive les candidats au mariage pour mesurer leur volonté réelle de vivre de façon matrimoniale, en communauté de vie affective et matérielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)
Sachant d'autre part que la moitié des acquisitions de nationalité par déclaration proviennent du mariage, nous proposons, dans le projet de loi, de porter le délai requis de deux à quatre ans, afin que la communauté de vie soit évidente pour tout le monde.
Nous concilierons ainsi notre volonté humaniste avec la nécessité de vérifier qu'un mariage est un vrai mariage et que l'on n'emploie pas le code civil contre les intérêts du pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)
M. le Président - Je crois que nous devons garder la mesure (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et faire attention à certains propos.
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Une fois encore, j'ai envie de citer Zo d'Axa, qui écrivait ceci en 1898 :

"Citoyens, on vous trompe ! On vous dit que la dernière Chambre, composée d'imbéciles et de filous, ne représentait pas la majorité des électeurs. C'est faux [...] Ne protestez pas : une nation a les délégués qu'elle mérite.
[...] Faites la chambre à votre image. Le chien retourne à ses vomissements, retournez à vos députés."


jeudi, 01 décembre 2005

Petite anthologie portative 14

Un solo pájaro
sobreviviente
vuela al socorro
del jardín yerto bajo la nieve
y salva apenas
una hoja verde.

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Un seul oiseau
survivant
vole au secours
du jardin roidi sous la neige
mais sauve à peine
une feuille verte.

(Jorge Carrera Andrade, "Quipos" III, in Vocación terrena, 1972 — trad. Claude Couffon : Registre du monde, Orphée / La Différence, 1997)