vendredi, 16 décembre 2005
Puissance des mouches
Emprunté hier à la médiathèque locale — invariablement déserte — le Requiem de Ropartz, un vieux Coltrane, un roman de Bergounioux et Le Chagrin et la colère, de Maurice Rajsfus. Titre sans rapport immédiat avec le texte, qui, plus qu'à celui-ci, renvoie au pessimisme et aux "révoltes logiques" de l'auteur. Aucune coquetterie littéraire dans ces pages ficelées à la diable, triviales, souffrantes et vindicatives, dans lesquelles il est question de la fatalité du corps, de la douleur et, finalement, de la bêtise et de la haine.
Près de la moitié du livre est consacrée à une douloureuse fugue pascalienne sur l'humiliant ravalement à l'animalité à quoi nous condamne l'urgence d'une défécation inopinée : "Je m'étais senti vraiment misérable. Moins que rien. Le dernier des parias. Dépouillé de toute dignité. Brusquement, plus rien n'avait d'importance, d'intérêt. C'était la démission totale devant l'orage de merde déferlant..." En contrepoint, de chapitre en chapitre, la succession des épigraphes stercoraires renvoie à l'histoire familiale, à l'univers du Lager, dans lequel l'omniprésence de la merde et de la souillure s'inscrivent dans un processus concerté de déshumanisation. Rien ici de Rabelaisien. Contrairement à ce qu'affirmait le père Ubu, la "merdre" est mauvaise, la chiasse tragique se mue en métaphore du mal débondant dans le monde... Autre jeu d'isotopies, vers la fin du livre : étant posé que la diarrhée peut être une manifestation du choléra, "la police, l'esprit policier, c'est une maladie épidémique s'apparentant au choléra. Reste la peste." La place, décidément, n'est pas près d'être propre.
Près de la moitié du livre est consacrée à une douloureuse fugue pascalienne sur l'humiliant ravalement à l'animalité à quoi nous condamne l'urgence d'une défécation inopinée : "Je m'étais senti vraiment misérable. Moins que rien. Le dernier des parias. Dépouillé de toute dignité. Brusquement, plus rien n'avait d'importance, d'intérêt. C'était la démission totale devant l'orage de merde déferlant..." En contrepoint, de chapitre en chapitre, la succession des épigraphes stercoraires renvoie à l'histoire familiale, à l'univers du Lager, dans lequel l'omniprésence de la merde et de la souillure s'inscrivent dans un processus concerté de déshumanisation. Rien ici de Rabelaisien. Contrairement à ce qu'affirmait le père Ubu, la "merdre" est mauvaise, la chiasse tragique se mue en métaphore du mal débondant dans le monde... Autre jeu d'isotopies, vers la fin du livre : étant posé que la diarrhée peut être une manifestation du choléra, "la police, l'esprit policier, c'est une maladie épidémique s'apparentant au choléra. Reste la peste." La place, décidément, n'est pas près d'être propre.
17:35 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (14)
Commentaires
un vieux Coltrane ? Lequel ?
Avouez qu'écouter Trane souffler comme une baleine blanche dans son saxe éloigne - momentanément - puanteurs et miasmes . Et cela donne envie de reprendre la route même avec toutes nos jambes coupées et bras tombés et autres bas morceaux endommagés !
je vais me mettre illico un "vieux" Trane sur la sono : "Olé" peut être , ou tout simplement "my favourite things"
Écrit par : hozan kebo | vendredi, 16 décembre 2005
C'est superbe et ça remue les tripes. Pas une ride. J'écoute, en ce moment, "Nancy (With the Laughing Face)"...
Écrit par : C.C. | vendredi, 16 décembre 2005
en quartet avec Garrisson Mac Coy Tyner et Elvin Jones : "Ballads"
je n'ai pas été vérifié mais suis certain que c'est ça à cause du titre (assez sirupeux) mais ce disque est super , même si je préfère quand Coltrane est plus hard )
vraiment , écoutez Olé !
Écrit par : hozan kebo | vendredi, 16 décembre 2005
Avec votre permission.
J'ai conscience que ma présence n'est que tolérée ici. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de réagir.
J'aime la musique de jazz. Je ne comprends seulement pas pourquoi il faut nécessairement que ce soit Coltrane que l'on cite dès que l'on parle de jazz. C'est presque devenu un lieu commun au même titre que la madeleine de Proust quand on parle de littérature.
Ecoutez donc un bon vieux Herbie Hancock qui nous fait la politesse (au moins) d'être ludique en plus d'être profond.
Maiden Voyage (pas d'italique sur ce site, navré), par exemple.
Merci de votre attention,
LD
Écrit par : Le Duc | samedi, 17 décembre 2005
Désolé de revenir à la m..., mais sur le même sujet, je n'oublierai jamais "La peau et les os" de Georges Hyvernaud, un ouvrage basé sur ses souvenirs de captivité en offlag.
Écrit par : L. Suel | samedi, 17 décembre 2005
H.K. : C'est en effet "Ballads". Tentez-vous le "banco" ?
L.D. : Pourquoi penser que vous êtes seulement "toléré" ? Vous êtes le bienvenu et vos opinions sont tout à fait respectables ! Sur Coltrane, pourtant, on peut n'être pas d'accord avec vous : s'il est devenu "incontournable", c'est parce qu'il compte réellement parmi les plus grands, et qu'avec le temps sa musique n'a rien perdu de son pouvoir d'envoûtement. C'est bien la marque d'un véritable "moderne" que d'être voué à devenir un classique. Y a-t-il aujourd'hui des "pointures" comparables ? Charles Lloyd, peut-être ?
L.S. : "La Peau et les os" est en effet l'un des récits les plus forts qu'on ait écrits sur la captivité. Aucune rhétorique dans ces pages nues, sombres, d'un pessimisme lucide et résigné : "Il y a décidément un certain point, dans l'angoisse et le désespoir, au-delà duquel on n'éprouve plus rien que le sentiment de l'absurdité irrémédiable de tout. On se détache. On n'adhère plus à la tragédie. Il n'y a plus du tout de tragédie, plus rien de surprenant ou d'horrible. Des hommes meurent, c'est simple, c'est dans l'ordre..." En comparaison, "Les Grandes Vacances" de F. Ambrière ont plutôt mal vieilli...
Écrit par : C.C. | samedi, 17 décembre 2005
Cher Constantin,
C'est pur élitisme de ma part que de refuser à Coltrane le statut que vous lui conférez. Je suis agacé (je ne vous compte pas parmi les personnes qui vont être désignées ci-après) d'entendre ou de lire le premier gougnafier venu louer les soli de J. C.
Cela étant Coltrane a repensé complètement l'harmonie et la façon de broder sur elle des mélodies abstraites. Je le reconnais volontiers.
Je maintiens néanmoins que la carrière et l'oeuvre d'Hancock est plus riche.
Je ne saurais trop vous recommander l'écoute, parmi les artistes de jazz récents, de Greg Osby. Et je me risque à cette proposition :
satisfait ou remboursé (procurez-vous de préférence "Further Ado") !
Cordialement,
LD
Écrit par : Le Duc | samedi, 17 décembre 2005
... et puisque je suis un notoire vétilleux (d'aucuns diraient un "casse-bonbons"), je me permets de rappeler à L. S. que "basé sur" est un anglicisme auquel il faut préférer "fondé sur".
Toutes mes excuses.
LD
Écrit par : Le Duc | samedi, 17 décembre 2005
Merci à LD de me reprendre. Si vous visitez mon blog vous comprendrez pourquoi je suis sujet à ces anglicismes. (sans me chercher d'excuses)
Pour revenir à Hyvernaud, je ne doutais pas, cher CC que vous l'aviez lu. Sont parus depuis, ses carnets d'offlag, au Dilettante, au moins aussi forts.
Sinon, j'écoute Coltrane et Hancock, et aussi Albert Ayler.
Et puisque je suis en veine de confidences, je vous dirai qu'aujourd'hui, it's my birthday (sorry LD) et que mon épouse depuis plus de 30 ans m' a offert le coffret Revenant 210, Captain Beefheart and his magic band, Grow Fins, rarities 1965-1982. J'avoue avoir été très ému en visionnant sur l'écran de mon ordinateur, Don Van Vliet à Amougies, en 1969. J'étais cette nuit-là, au pied de la scène, à 3 mètres de lui.
Écrit par : L. Suel | samedi, 17 décembre 2005
Heureux anniversaire, cher L.S. Je lève à votre santé mon verre de Laphroaig !
À noter, à propos de l'usage de "basé sur ...", que Renaud Camus se montre d'un avis très modéré : "... les grammairiens conseillent d[e l']éviter, en général, sans donner pour cela de bien bonnes raisons, sinon l'hostilité dont il fait l'objet de la part de leurs confrères et de leurs prédécesseurs [...] Il est difficile d'entrer dans ces arguties. Néanmoins, par prudence, à "baser" on pourra préférer "fonder", qui, lui, ne fait l'objet d'aucune critique." ("Répertoire des délicatesses du français contemporain", P.O.L., 2000, p. 62-63)
Écrit par : C.C. | samedi, 17 décembre 2005
Merci pour la modération des commentaires par R. Camus.
J'avoue ne jamais avoir goûté le Laphroaig.
Mon tiercé gagnant : Lagavullin, Knockando, Talisker.
Écrit par : L. Suel | samedi, 17 décembre 2005
Très beau tiercé. J'ai personnellement un faible pour le Knockando. Le Laphroaig* est intéressant, voire surprenant : puissamment iodé, tourbé, fumé... On peut ne pas aimer cela, mais, en tout cas, on ne reste pas indifférent...
* À consommer avec modération. L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. Ne convient pas aux enfants de moins de trente-six mois, ni aux amateurs de Chivas (le "blend" le plus surfait du monde).
Écrit par : C.C. | samedi, 17 décembre 2005
Excusez-moi de surgir au beau milieu de cette tourbe, mais je trouve que c'est un lieu commun de la part de Rajfus d'écrire que la merde est sale. "Démission totale devant l'orage de merde déferlant" : si ce n'est pas de la coquetterie littéraire, c'est au moins du cinoche à gros budget.
Écrit par : Lapinos | lundi, 19 décembre 2005
Rajfus va plus loin que ce constat d'évidence (la merde pue) et fait plus que se scandaliser de notre condition de mammifères soumis aux exigences du corps (cf. Swift : "Oh ! Celia, Celia, Celia shits !"). Il voit dans la merde le rappel de notre animalité, prête à resurgir dès qu'on nous fait violence. "Se questo è un uomo" : si je ne puis me retenir ou me cacher, si je me souille en public, je suis une bête... Misère de l'homme.
Écrit par : C.C. | mardi, 20 décembre 2005
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