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vendredi, 23 décembre 2005

"La plus exaspérante liberté"

Ayant évoqué l'autre jour, un peu par hasard, à propos de Luc Dietrich, le style de Calaferte, je me surprends à relire de lui tout ce que je retrouve dans ma bibliothèque, et tout appelle le commentaire superlatif — qu'il s'agisse de la noirceur de l'évocation de la France occupée dans C'est la guerre, de l'érotisme jubilatoire et joyeusement obscène de La Mécanique des femmes ou de la lucidité du regard porté sur la société dans Droit de cité. Ces fragments, publiés il y a une quinzaine d'années, qu'ils reviennent sur certains événements, certaines figures du passé ou constituent un commentaire rageur de l'actualité du moment, restent d'une lecture particulièrement stimulante. L'intelligence, la générosité, la hargne dressée contre la sottise, "la plus exaspérante liberté" s'y manifestent à chaque page.
À l'heure où les saltimbanques prétendent donner des leçons de civisme, où la politique se dilue dans la verbigération agressive ou lénifiante, il est bon de retrouver les emportements "politiquement incorrects" de cet "anarchiste chrétien" à la voix singulière.

"Quitte à passer pour un utopiste, il ne faut pas cesser de s’indigner, de protester, de crier haut et fort que le roi est nu. Les cloportes savent d’instinct s’infiltrer dans la moindre faille de l’édifice ; leur objectif étant son effri­tement, sa ruine, sur laquelle ils triomphent.
Il ne faut pas se lasser de les identifier ni de dire que ce sont des cloportes, non des oiseaux de haut vol, comme leur puissante confrérie tente de le faire accroire à une mul­titude mal informée.
Voilà qui vaut aussi bien pour les arts que pour la politique — au reste, il est à présent fréquent d’assister à leur amalgame dans une espèce de bouillon de culture qu’on dirait concocté par des diablotins.
La géniale formule de Shakespeare à pro­pos du pourrissement du royaume — bien entendu, il s’agit également du royaume inté­rieur de chacun de nous — prend en l’occur­rence toute sa valeur.
Quant à prétendre que le sens de l’Histoire nous conduit irrésistiblement vers les dominations de la masse, voilà qui ne sera démontré que dans le siècle à venir. Nous sommes dans un système où l’équilibre ne perd que passagèrement ses droits, ce dont il convient de se souvenir, car, quoi qu’il advienne, un homme en vaudra toujours trente mille."

(Droit de cité, Folio, 1994, p. 20-21)

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