dimanche, 22 février 2015
Notes de lecture 4
Terminé, entre la sieste et le thé, Le Gluau — The Lime Twig — de John Hawkes (Le Serpent à plumes, 1998)
Étrange récit, à la fois poétique et trivial, confinant à une sorte d'onirisme morbide qui peut faire penser à Gombrowicz ou à Luc Dietrich. J'ai déjà évoqué ces livres qui nous laissent un indéfinissable sentiment de malaise, soit que le sens de l'intrigue — ou de ce qui en tient lieu — nous échappe en partie, soit que l'auteur, par la seule vertu de l'écriture, suscite une fascination mêlée de dégoût dont a du mal à se défaire.
Il faut saluer ici la qualité de la traduction, signée Aanda Golem, qui restitue de façon troublante la violence poisseuse de cette pseudo-enquête policière — dans un registre différent, on songe à Maurice-Edgar Coindreau traduisant Capote ou William Goyen.
Pénombre et brouillard, suie, rouille, poussière, remugles divers, hardes et gravats, personnages fantoches, mannequins odieux ou pathétiques, tout cela n'est pas bien gai :
"... il regarda Sybilline et distingua dans ses yeux les yeux d'un animal qui a vu une lanterne se balancer sur une colline dans le noir [...] Dans ses bras, elle était comme les femmes auxquelles il songeait en sortant des lieux d'aisance."
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mercredi, 18 février 2015
Géorgique d'hiver, lectures et rituels des vieux jours
Quatre jours dans la grande maison du parc des Volcans, cernée par les neiges. Un hameau au milieu de nulle part, où le silence n'est guère troublé que par les aboiements des chiens à l'attache, le ferraillement de leurs chaînes ou le cacardement furibond d'un jars.
Il faut, dès le matin, briser la glace sur les abreuvoirs, préparer la pâtée des cochons, veiller à ce que chèvres et moutons ne manquent pas de foin, vérifier le niveau du grain dans les mangeoires de la volaille... Une bonne partie de la journée est occupée ensuite par la lecture. Les chats dorment et jouent parmi les livres. L'après-midi, bonne promenade avec les chiens qui reniflent chaque empreinte, s'arrêtent soudain le nez au vent, s'émeuvent d'on ne sait quels effluves et repartent comme des fous dans leur billebaude absurde... À la nuit, on se couche tôt, épuisé par la balade et les corvées du soir.
Après cette parenthèse rustique, nous retrouvons sans déplaisir nos pénates et nos vieilles routines, ces rituels quotidiens auxquels nous ne dérogeons guère, le thé du matin et celui de quatre heures, les nouvelles — inévitablement mauvaises ou sans intérêt — à la radio, le jazz quotidien avant le dîner, les moments de lecture — feuilletages plus ou moins studieux en début de matinée, la sacro-sainte sieste lisarde et le polar du soir.
En ce moment, Jean Clair (L'Hiver de la culture), John Hawkes (Le Gluau) et Daniel Chavarria, dont je viens de terminer Le Rouge sur la plume du perroquet... J'ai encore, heureusement, pas mal de bouquinerie en attente.
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samedi, 24 janvier 2015
Le grand style 25
"Le pénis passait d'une bouche à l'autre, les langues se croisaient comme se croisent les vols des hirondelles, légèrement inquiètes, dans le ciel sombre du Sud de la Seine-et-Marne, alors qu'elles s'apprêtent à quitter l'Europe pour leur pèlerinage d'hiver."
(Michel Houellebecq, Soumission, 2015, p. 26)
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mardi, 20 janvier 2015
Météo 37
Temps gris, froid, humide. Il brouillasse, il neigeote.
Dans le jardin, ballet ininterrompu des mésanges autour des mangeoires et des pelotes de graisse suspendues dans le bouleau. Parfois, une sittelle, un bouvreuil ou un chardonneret. Au sol, c'est le petit peuple tapageur des moineaux, les tourterelles, les merles peu farouches...
Matinée calme. On réécoute un disque oublié — les élégantes Suites pour deux violoncelles d'Offenbach — en compulsant le courrier en souffrance — factures et autres paperasses de peu d'intérêt —, en survolant les titres des journaux "où le monde assassine".
L'après-midi, sieste et lecture.
Terminé enfin Lila, de Robert M. Pirsig (Points, 2013), dont je me rappelais avoir aimé, naguère, le Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes. Dois-je l'avouer ? j'ai eu un peu de mal avec cette "suite" dont la farcissure philosophique m'a paru, à la longue, fastidieuse et redondante. Je ne retiendrai guère de ce gros bouquin que les quelques pages où il est question du "goût des autres" et du kitsch ("La beauté, ce n'est pas quand quelque chose essaie de ressembler à autre chose.") ou les déambulations crépusculaires de l'héroïne éponyme dans un quartier déprimant de New-York.
J'aurai tôt fini, en revanche, les nouvelles de Sigismund Krzyzanowski, rassemblées dans Le Marque-page (Verdier, 1992), textes saugrenus et sombres, cocasses et poétiques, qu'on ne saurait guère comparer qu'à ceux de Kafka ou Bruno Schulz.
Et, dans la file d'attente, délices promises, d'autres inconnus à découvrir, achats — pour beaucoup — de hasard, pour le nom imprononçable de l'auteur, le titre ou la couverture : László Krasznahorkai, Abdourahman A. Waberi, William Gaddis... Ces acquisitions improbables m'ont souvent, dans le passé, valu de plus grands bonheurs que les titres encensés par la critique.
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mardi, 13 janvier 2015
Solderie 7
Hier et aujourd'hui, visite aux solderies. Outre les cochonneries habituelles, les fripes et la boustifaille, quantité de livres — nouvel arrivage, sans doute, puisque bien rangés dans les bacs, pas encore souillés ni écornés. Il est significatif de constater que ces ouvrages, quel que soit leur intérêt, sont proposés à des des prix la plupart du temps dérisoires, bien inférieurs à ceux de la plupart des autres denrées qu'on trouve là, pêle-mêle.
Je me retrouve donc avec une quarantaine de nouveaux volumes qui viendront grossir les empilements existants. Quatre, au moins, à parcourir en priorité :
Alfred Döblin, Voyage et Destin (Anatolia/Éditions du Rocher, 2002)
Béla Hamvas, Un livre de prières pour les athées — Philosophie du vin (Id., 2005)
Ezra Pound, Sur les pas des troubadours en pays d'oc (Id.)
Carl Von Linné, La Vengeance divine — Nemesis divina (Michel de Maule, 1994)
À la première page de Béla Hamvas :
"J'ai décidé d'écrire un livre de prières pour les athées. En ces temps de détresse, je me suis pris de compassion pour ceux qui souffrent et j'ai voulu ainsi leur venir en aide.
J'ai conscience de tout ce que ma tâche a d'ardu. Je sais qu'il ne m'est même pas loisible de prononcer le mot "Dieu". Il me faudra parler de lui en lui donnant toutes sortes d'autres noms, par exemple baiser, ivresse, ou jambon cuit. J'ai choisi le nom de vin comme étant le plus important de tous..."
Voilà qui me semble prometteur.
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lundi, 12 janvier 2015
Béotisme 4
Vous parcourez Le Lecteur, de Pascal Quignard, et vous tombez sur ceci :
"Ce désespoir.
Les livres n’avaient pas été dangereux. Ils lui parussent ou bien lâches : frivoles. Ou bien lascifs : forsenés. Frivoles car ils eussent dissipé tout à fait et la tête et la langue ; eussent affadi le goût, énervé le pouvoir de sentir ; eussent affaibli la vie s'ils en étaient la multiplication simulée, la duperie ou la falsification. Lascifs car le corps du lecteur eût vécu de cette erreur de vie ; ils eussent conduit ce corps à participer et s'user en vérité (en sang, en sueur, en liquide d'amour, en larmes) de leur erreur.
Ils eussent tout corrompu et eussent été aimés pour ce défaut." (Folio, 2014, p. 108)
Quignard est assurément l'un de nos meilleurs écrivains, mais il arrive que, se laissant aller à une perte de vigilance dont nul n'est à l'abri — Quandoque bonus dormitat... —, il cède à la facilité, joue de l'obscurité et de l'affèterie stylistique, de coquetteries d'érudit qui dissimulent mal la banalité du propos. La préciosité tourne à l'affectation : emploi bizarre du subjonctif imparfait, qui défie l'analyse grammaticale, singularité de la ponctuation, hypercorrections étymologiques — comme ce forsené —, tout concourt à rendre impénétrable un texte qui, sans ces contorsions rhétoriques, apparaîtrait d'une grande platitude. Tout ce mince volume, qui "sent l'huile" ou le fond de tiroir, tient de l’escroquerie intellectuelle. On voudrait nous faire avaler qu'un truisme signé Quignard se transmue du même coup en aphorisme lourd de sens. Ce Lecteur, livre-miroir, livre narcissique, se ramène à un portrait de l'Auteur en illusionniste. Ce qui est un peu triste, ici, c'est que ses tours ne nous amusent guère — d'autant plus triste qu'ils nous ont souvent enchanté...
Dire cela, c'est assumer le risque de se voir taxer de béotisme ou de stupidité ; c'est avouer n'avoir pas saisi la beauté du style, ni la profondeur de la pensée, que d'autres sauraient quintessencier en de copieuses exégèses, plus abstruses encore que leur objet, inaccessibles au profane. La critique, confrontée — dans le champ littéraire — à l'hermétisme ou au galimatias, comme dans d'autres domaines à l'incohérence ou à l'imposture, prétend accéder à quelque tiefere Bedeutung par la verbigération incantatoire : ad obscurum per obscurius. Qu'il s'agisse de poésie, de cinéma, d'art en général, quelques termes aux contours sémantiques mal définis, de vagues abracadabras permettent en général de se tirer d'affaire. A-t-on vu trois fois Mulholland Drive sans y rien comprendre, on ne court pas grand risque à parler de fugue onirique, d'anamnèses ou d'analepses, bref à dire tout et n'importe quoi plutôt que d'avouer sa déception ou sa perplexité. En matière de poésie, l'épithète autotélique se révèle d'un grand secours. Devant une toile de Soulages ou de Cy Twombly, une "installation", j'avoue ne pas savoir ce qu'il convient de dire, mais je suppose qu'évoquer une démarche relevant de l'ascèse ou un questionnement à propos de l'être-là des choses peut suffire à se tirer d'embarras.
Le critique professionnel, lui, trouve le plus souvent son salut dans la fuite, se dérobe comme le poulpe, laissant derrière lui un nuage d'encre.
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vendredi, 02 janvier 2015
Crachats 3
Cette année, à propos des 691 nouveaux médaillés ou promus dans l'ordre de la Légion d'Honneur — et du refus de Thomas Piketty — le Figaro rapporte la réponse "cinglante" de Marcel Aymé au ministère de l'Éducation nationale qui, en 1949, lui "proposait l'insigne" : "Pour ne plus me trouver dans le cas d'avoir à refuser d'aussi désirables faveurs, ce qui me cause nécessairement une grande peine, je les prierais qu'ils voulussent bien, leur Légion d'honneur, se la carrer dans le train, comme aussi leurs plaisirs élyséens."
En ces temps de grande servilité, où l'on "s'excuse" et demande pardon pour le plus petit écart, ce n'est pas sans nostalgie qu'on songe à cette époque où les auteurs avaient de la voix.
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Manger de l'animau — et autres plaisirs de saison
On a beau être grincheux, on se laisse toujours fléchir par quelques vieux amis. On ne peut pas refuser : quelqu'un a réservé une table dans une auberge de campagne, avec la promesse qu'il n'y aura ni cotillons, ni musique à plein volume dès le premier service, qu'on mangera de bonnes choses, qu'on boira avec modération, qu'on regagnera ses pénates à une heure raisonnable...
Et on se retrouve à réveillonner dans une gargote glaciale, à peu près sinistre, où l'on nous gave de boustifaille mal cuite arrosée de vin ginguet d'origine incertaine, tandis que passent en boucle de pénibles rengaines de Luis Mariano. On nous distribue avant le dessert des loups de carton et des chapeaux pointus. Verts. Le patron et la patronne — une naine adipeuse et tatouée —, affables, vibrionnent autour de la table, s'inquiètent : ne va-t-on pas danser ? Allons ! il faut s'amuser, la maison offre le champagne.
On n'a qu'une hâte : que cela finisse, qu'on règle l'addition — évidemment exorbitante — et qu'on rentre chez soi. On le savait : il ne fallait pas y aller.
Il y a tout de même, en ces journées d'hiver, d'autres plaisirs moins faisandés : feuilleter les livres qu'on a reçus en cadeau à Noël — un bel ouvrage sur la sculpture romane, les deux volumes de romans de Montherlant, qu'on ne lit plus guère aujourd’hui in extenso, mais qu'on parcourt avec bonheur à la billebaude, dénichant au hasard des pages quelques belles sentences aphoristiques. Alice se demandait quel intérêt pouvait bien présenter un livre sans images ni dialogues. On peut se poser la même question à propos de ceux où l'on ne relève aucune formule digne d'être inscrite "avec l'aiguille sur le coin intérieur de l'œil". Ces apophtegmes prosaïques — presque nécessairement ironiques, dans la mesure où ils sont, comme les proverbes, "selles à tous chevaux" — ne sont pas rares dans les bons "polars". Comme les incidentes culinaires, musicales ou littéraires, discrets schibboleths, ils sont autant de clins d’œil au "suffisant lecteur", qui tient en général l'intrigue pour un simple prétexte et se délecte des brodures, des appoggiatures ou des digressions, voire des pseudo-citations. Art subtil de la seconde main, comme chez Jerry Stahl citant prétendument Charles Mingus d'après une page Internet : "L'homme blanc ? Ça existe pas, l'homme blanc. Rose, il est." Je n'ai pas retrouvé la source de cette indiscutable assertion. L'imposture vénielle, parfois, fait aussi partie du jeu.
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samedi, 13 décembre 2014
Magie de Noël
Les hygiénistes, les abstèmes et agélastes de tout poil me sont odieux. Ils me donnent l'envie de fumer de nouveau mes cigares italiens nauséabonds — de préférence dans les lieux publics — et de boire davantage.
Quant aux sectateurs du père Noël (Silène Coca-(saint Ni)cola(s)), je leur devrai peut-être le salut de mon âme pécheresse. Tout ce cirque tapageur et vulgaire, ces machins qui clignotent me conduiront un jour à m'aller agenouiller dans une église de campagne froide et humide pour y entendre la messe de minuit, y retrouver un peu de la joie nue de l'enfance, de la naïveté à jamais perdue.
Avec le temps, nous dit le dictionnaire de Trévoux, le mot magie "devint odieux". La dérive sémantique se confirme aujourd'hui avec cette "magie de Noël" dont on nous rebat les oreilles, ce déferlement de vulgarité imbécile.
Dans le Journal de Saône-et-Loire, un lecteur s'indigne — dans un "commentaire" — qu'à Bourbon-Lancy la confrérie des "Beurdins" — simples d'esprit, dans le parler local — participe, en costume de bouffons, aux animations de Noël. C'est dit-il, en substance, un scandale : ces clowns n'ont aucun respect pour la "féerie", pour le père Noël, pour les "lutins"... Je n'invente rien. Noël, aujourd'hui, ce sont les Bisounours et les Schtroumpfs. Le bœuf et l'âne fraternisent avec les dinosaures et réchauffent de leur haleine un petit bonhomme bleu.
On a viré le ravi de la crèche.
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mercredi, 10 décembre 2014
Choses vues 10
Trop tard ou trop vite ?
Dans une allée du cimetière
Gyrophares tournicotant
Le fourgon rouge des pompiers.
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