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vendredi, 02 janvier 2015

Manger de l'animau — et autres plaisirs de saison

Loup.jpgOn a beau être grincheux, on se laisse toujours fléchir par quelques vieux amis. On ne peut pas refuser : quelqu'un a réservé une table dans une auberge de campagne, avec la promesse qu'il n'y aura ni cotillons, ni musique à plein volume dès le premier service, qu'on mangera de bonnes choses, qu'on boira avec modération, qu'on regagnera ses pénates à une heure raisonnable...
Et on se retrouve à réveillonner dans une gargote glaciale, à peu près sinistre, où l'on nous gave de boustifaille mal cuite arrosée de vin ginguet d'origine incertaine, tandis que passent en boucle de pénibles rengaines de Luis Mariano. On nous distribue avant le dessert des loups de carton et des chapeaux pointus. Verts. Le patron et la patronne — une naine adipeuse et tatouée —, affables, vibrionnent autour de la table, s'inquiètent : ne va-t-on pas danser ? Allons ! il faut s'amuser, la maison offre le champagne.
On n'a qu'une hâte : que cela finisse, qu'on règle l'addition — évidemment exorbitante — et qu'on rentre chez soi. On le savait : il ne fallait pas y aller.
Il y a tout de même, en ces journées d'hiver, d'autres plaisirs moins faisandés : feuilleter les livres qu'on a reçus en cadeau à Noël — un bel ouvrage sur la sculpture romane, les deux volumes de romans de Montherlant, qu'on ne lit plus guère aujourd’hui in extenso, mais qu'on parcourt avec bonheur à la billebaude, dénichant au hasard des pages quelques belles sentences aphoristiques. Alice se demandait quel intérêt pouvait bien présenter un livre sans images ni dialogues. On peut se poser la même question à propos de ceux où l'on ne relève aucune formule digne d'être inscrite "avec l'aiguille sur le coin intérieur de l'œil". Ces apophtegmes prosaïques — presque nécessairement ironiques, dans la mesure où ils sont, comme les proverbes, "selles à tous chevaux" — ne sont pas rares dans les bons "polars". Comme les incidentes culinaires, musicales ou littéraires, discrets schibboleths, ils sont autant de clins d’œil au "suffisant lecteur", qui tient en général l'intrigue pour un simple prétexte et se délecte des brodures, des appoggiatures ou des digressions, voire des pseudo-citations. Art subtil de la seconde main, comme chez Jerry Stahl citant prétendument Charles Mingus d'après une page Internet : "L'homme blanc ? Ça existe pas, l'homme blanc. Rose, il est." Je n'ai pas retrouvé la source de cette indiscutable assertion. L'imposture vénielle, parfois, fait aussi partie du jeu.

Commentaires

"avec l'aiguille sur le coin intérieur de l'œil"...
C'est Isaac Newton qui jouait à ça, pour trouver la formule de la lumière.

Écrit par : Patrice | samedi, 03 janvier 2015

Formule empruntée aux "Mille et une Nuits".
Procédé mnémotechnique qui n'est pas sans risque !

Écrit par : C.C. | samedi, 03 janvier 2015

On en trouvera une occurrence, à caractère aimablement thérapeutique, ici:
http://lemoinebleu.blogspot.fr/2012/06/i-saw-light.html

Merci, en attendant, pour ce trop court texte, déjà remarquablement vengeur.

Écrit par : le moine bleu | samedi, 03 janvier 2015

@Moine — L'instrument utilisé ne serait-il pas un ophtalmoxystre ?

Écrit par : C.C. | dimanche, 04 janvier 2015

A propos d'indiscutables assertions, "quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera" n'est prononcée que par Charlton Heston dans " les 55 jours de Pékin" . Chez Napoléon, nulle part.
(hommage à Simon Leys chez Meyer)

Bon année et revenez plus souvent !

Écrit par : mongka | dimanche, 04 janvier 2015

@Mongka : C'est bien connu, on ne prête qu'aux riches. Autre exemple bien connu, la formule attribuée à saint Augustin, "inter fæces et urinam nascimur" — que Béroalde traduit assez crûment par "Tu es né entre la merde et le pissat".

Écrit par : C.C. | lundi, 05 janvier 2015

J'aime particulièrement les deux premiers paragraphes.

Écrit par : Ph. Billé | lundi, 25 mai 2015

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