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mardi, 13 mai 2014

Solderies, bouquins, hasards objectifs 3

"Quand le matin qui vient ne nous dit rien, voilà une journée dont nous sommes d'avance l'orphelin."
Réflexion en accord avec la maussaderie du ciel et l'humeur du jour, sur laquelle je tombe en feuilletant un volume des Carnets d'André Blanchard, acheté hier avec une brouettée d'autres bouquins "déstockés" — le mot, parlant de livres comme on parlerait de boîtes de conserves, de beaujolais tournant au vinaigre ou de cochonneries surgelées, a quelque chose de dépréciatif. Est-ce pour cela que la faune dominante des solderies — mâles hirsutes en survêtement et dondons à poussette — considère ces pauvres volumes avec un si ostensible dédain, les rejette dans leurs bacs comme des objets malpropres ou parfaitement inutiles ? À chaque nouvel arrivage, il faut se hâter de sauver ce qui peut — ce qui doit — l'être, avant que tout ne soit corné, souillé, dépenaillé... Les "beaux livres" d'abord, qui supportent mal d'être ainsi bousculés : photographies d'Elliott Erwitt (Silvana Editoriale) ; photos de presse réunies par Marie-Monique Robin et David Charrasse (La Martinière) ; textes, peintures — et photos encore — de Jean-Pierre Pincemin, Gérard Titus-Carmel, Vincent Bioulès et Jean Le Gac (Seuil/Éditions Pérégrines). Les proses brochées ensuite : en vrac, tout un lot du Serpent à Plumes — nombreux inconnus, parmi lesquels m'arrête un certain Christophe Till Geissler qui, sous le titre de Lamelles, a rassemblé quelques aimables fantaisies mycologiques. Voici, au hasard, une "pézize veinée" ou "oreille de singe" (Disciotis venosa), traitée à la manière de Ponge : "Assez grande, charnue, d'un joli brun clair, elle joue à se déguiser en une large oreille dont le pavillon grand ouvert sans crainte vers le ciel, révèle un fond parcouru de veines en relief, que l'on s'attendrait presque à voir battre doucement." Dans le même registre naturiste, Marcher. Éloge des chemins et de la lenteur, de David Le Breton (Métailié), promenades littéraires où l'on croise au gré des pages, bon nombre d'écrivains gyrovagues et d'"étonnants voyageurs", Xia Xiaque, Rousseau, Stevenson, Robert Walser, Werner Herzog, Lacarrière, bien sûr — et tant d'autres. Pour les essais, je m'en tiens au pavé d'Anthony Burgess, Au sujet de James Joyce. Une introduction pour le lecteur ordinaire (Le Serpent à Plumes). Aussi épais qu'Ulysse. Le lirai-je in extenso ? J'ai quelques doutes, mais à ce prix...
Bouclons la boucle avec Blanchard, que, décidément j'aime beaucoup et que je ne pouvais abandonner ainsi, entre bermudas et escarpins made in China : "Avoir la littérature dans la peau a son synonyme : la vie vaut plus le coup d'être lue que vécue." (À la demande générale. Carnets 2009-2011, Le Dilettante, 2013)

mardi, 06 mai 2014

Baignoire de Joséphine, Alcanter de Brahm, etc.

J'ai dû parcourir à plusieurs reprises, "à sauts et à gambades", les trois petits volumes de Raphaël Confiant publiés aux éditions Mille et une nuits, avant d'y retrouver ce passage, dont la lucidité n'a fait que se confirmer avec le temps : "Je me servis une double vodka en songeant, accablé, au fait que sur les autoroutes de l'information, les camions roulaient pour l'instant à vide et qu'Internet n'avait réussi qu'un seul et unique exploit : faciliter la circulation mondiale de la connerie humaine." (La Baignoire de Joséphine, 1997) Le "pour l'instant" témoigne d'une raisonnable circonspection quant à l'avenir. Après bientôt deux décennies, on peut mesurer l'étendue du désastre — Facebook gangrené par le kitsch sentimental, la pensée bisounours et l'imbécillité ordinaire ; Wikipédia poussant dans toutes les directions les rhizomes de la culture pour candidats à "Questions pour un champion" ou amateurs de "Trivial Pursuit", la compilation de l'anecdotique et de l'à-peu-près. La philosophie à deux sous et le savoir à portée de tous. Bovarysme revisité Bidochon. Autodidactes : sauvages cul nu coiffés de chapeaux melons.
Ainsi, chacun peut, aujourd'hui, se flatter de savoir qu'Alcanter de Brahm (Marcel Bernhardt pour l'état civil et poète d'une confondante médiocrité) serait l'inventeur du "point d'ironie", sans s'interroger un seul instant sur l'intérêt de cette innovation typographique mort-née, relevant du pur non-sens dès lors qu'on s'interroge sur la notion même d'ironie. L'eirônéia socratique sollicite l'auditeur — ou le lecteur :  "Elle sait qu’on n’a pas besoin de tout dire et elle a renoncé à être exhaustive : elle [lui] fait confiance [...] pour soulever le sens avec le levier du signe." (Vladimir Jankélévitch, L’Ironie, Paris, Flammarion, “Champs”, 1999) Le point d'ironie et, de la même façon, les "smileys" ou les rires enregistrés imposent un sens unique au destinataire du message, au téléspectateur, rassurent l'imbécile : c'est bien là qu'il faut rire. Signaler l'ironie, c'est présumer qu'il n'y a plus de "suffisant lecteur", capable d'une démarche herméneutique élémentaire. De là à en inférer qu'on puisse — sous couvert de "culture" ou de divertissement — faire tout avaler au public, il n'y a qu'un pas, vite franchi. L'esprit critique, voilà l'ennemi. Ingurgitez, nous ferons le reste. Internet, c'est l'écuelle du bonhomme Guyon...

jeudi, 01 mai 2014

À Bagnolet

Chanson de circonstance :

"C'est à Bagnolet que j'ai connu Ciboulette
Elle vendait le muguet dans un petit troquet..."

Qui se souvient de Gilbert Grenier, aujourd'hui, probablement, "mort et roidi" ? Tout sympathique qu'était le personnage — fort discret au demeurant —, il faut bien admettre que ses vers au mètre incertain n'avaient rien d'inoubliable. Aussi les a-t-on oubliés bien vite, comme les couplets de Jean Arnulf, d'Anne Vanderlove ou de Guy Bontempelli, "les refrains de deux sous, les vers de mirliton"...
J'ai rencontré, il y a quelques années déjà, Anne Vanderlove dans une sorte de café-théâtre de la banlieue de Clermont-Ferrand. La jeune fille aux airs de vierge préraphaélite était devenue une grosse dame qui, après son tour de chant, se repaissait prosaïquement de spaghetti dans un coin de la salle.
Si l'homme, c'est bien connu, ne vit pas seulement de pain, les poétesses, la bise et l'âge venus, ne vivent pas seulement de vent.

dimanche, 27 avril 2014

Jour vide

"Aujourd’hui je n'ose pas même me faire des reproches. Lancé en ce jour vide, ce reproche aurait eu un écho écœurant." (Franz Kafka, Journal intime, 22 décembre 1910)

samedi, 19 avril 2014

Parc des Volcans

Animal-sitting durant tout le week-end pascal.
La nuit est tombée. Tout dort dans les volières, les enclos, les clapiers. Les chiens, prompts à clabauder tout le jour, se sont enfin tus, ayant regagné leur niche. Les plus paresseux des chats s'approprient coussins et canapés, le plus jeune est parti pour ses chasses nocturnes.
Le feu flambe dans la cheminée.
Silence...

dimanche, 13 avril 2014

Tambour et tombola

"M. Jean Richepin a fait jeudi son entrée sous la Coupole au son du tambour. C'est le rite. Lorsqu'un nouvel académicien, vêtu de son habit neuf, se présente devant la lourde porte verte, des militaires portent les armes et le tambour bat aux champs. Depuis Napoléon Ier, il y a toujours eu dans le vestibule du palais, aux jours de réception académique, un piquet d'honneur et un tambour.
Toujours, sauf une fois, voilà trois ans, quand M. Étienne Lamy vint prendre séance. Ce jour-là il y eut bien un piquet d'honneur, mais le tambour manquait. À sa place, il y avait un clairon.
Un clairon ! tout le monde fut d'accord pour le prier de se taire. M. Étienne Lamy fut reçu sans tambour ni trompette.
Le secrétaire de l'Institut fit au ministère de la guerre les démarches nécessaires pour éviter le retour d'un pareil incident. On lui promit que jamais plus on ne verrait de clairon sur le passage du récipiendaire. Mais, pour plus de certitude, le secrétaire perpétuel, chaque fois qu'il écrit au ministre pour lui demander le piquet, prend soin d'ajouter : avec un tambour." (Le Figaro, samedi 20 février 1909)

Reçu, croit-on savoir, sans tambour ni autres trompettes que celles de sa renommée, M. Finkielkraut sera-t-il, dans un siècle, aussi célèbre qu'aujourd'hui le secrétaire perpétuel Étienne Lamy ?
L'immortalité est une tombola. Tambour et tombola, c'est du pareil au même, disait Tarkos.

mardi, 08 avril 2014

Petite anthologie portative 79

Oh, que la plèbe se divertisse, cela m'a toujours satisfait.
Je suis étranger à sa joie, mais pas étranger au fait qu'elle en ait.
Je veux qu'ils soient joyeux à leur manière même.
S'ils l'étaient à la mienne ils seraient tristes.
Je ne prétends pas être comme eux, ni qu'eux soient comme moi.
Chacun à sa place et dans sa propre joie,
Chacun à son point d'esprit et parlant dans sa langue.
J'entends leur joie, je l'aime, je ne participe pas, je ne peux pas l’avoir.

(Fernando Pessoa / Álvaro de Campos, Derniers poèmes, poèmes posthumes datés, trad. Patrick Quillier, in F.P., Œuvres poétiques, Gallimard, Bibl. de La Pléiade, 2001)

 

dimanche, 06 avril 2014

Contre les dégoûts de la vie

Relire les laconiques inscriptions d'un poète.
"Nous errons auprès de margelles dont on a soustrait les puits."

jeudi, 03 avril 2014

Eymoutiers

Rebeyrolle 4.jpgNous profitons d'une journée qui s'annonce grise et vaguement pluvieuse pour une escapade en Limousin : depuis longtemps je me promets de visiter l'Espace Rebeyrolle, à Eymoutiers.
J'en reviendrai proprement sidéré. La peinture de Rebeyrolle appelle le superlatif et l'oxymore : toiles démesurées où fermente et dégouline une matière épaisse, ici figée comme une lave refroidie, craquelée, écailleuse et friable, là, travaillée, devine-t-on, de sourdes fermentations, grouillante, sanieuse, sanguinolente. Des sédiments terreux esquissent de vagues orographies où ruissellent des fluides, où s’enchâssent d'érugineuses immondices ; des haillons s'accrochent à des moignons de branches... Voici des corps, convulsés, meurtris, saisis dans les contorsions de la souffrance ou de l'orgasme, des viscères, des poils, résidus de poubelles d'hôpital ou d'abattoir. Intérieurs vides et glacés, asiles ou mausolées, singes et chiens. On redoute à tout moment que le cauchemar s'anime, que le pandémonium se déchaîne, que le silence se déchire, que des rugissements telluriques secouent ces paysages tout juste émergés du chaos primordial, que les hurlements des torturés, les vagissements des fantômes, le bafouillis des ivrognes ou des déments débondent en mascaret dans les couloirs et les salles.
Au-dehors, l'air un peu frais rompt le "noir enchantement", la "Fontaine de Jouvence", macabre allégorie, pissote son petit jet verlainien.
Nous n'irons pas jusqu'à Tarnac, où je dois avoir encore quelques lointains cousins. Il est un peu tard, aussi, pour un pèlerinage littéraire sur les terres "siomoises" de Richard Millet ou à Taphalescha, au nom évocateur de mines d'or et de cavaliers sauvages.
Retour donc, sous un ciel triste, par le lac de Vassivière, Felletin, Aubusson : le plateau de Millevaches et les mélancoliques campagnes de l'ancienne Marche. Nous dînerons, au retour, des rillettes d'oie et du gros pain de campagne achetés au marché d'Eymoutiers.

lundi, 31 mars 2014

Lentilles vert émeraude 2

Tout occupé des préparatifs du petit-déjeuner, je prête une oreille distraite aux jabotages post-électoraux des invités politiques de France-Culture. Je crois entendre : "... plateau de fromages" — avant de réaliser que c'est du "taux de chômage" qu'il est question. Ventre affamé...