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samedi, 07 janvier 2006

Vertes campagnes

J'emprunte cet après-midi la D 79 pour aller visiter un ami en sa thébaïde, entre Combraille et Bourbonnais. La chaussée est jonchée d'esquilles de bois, d'éclisses, de ramilles déchiquetées: on procède à l'élagage. Des haies vives, ne subsistent que des bouquets de branchillons hirsutes, des moignons torturés... L'épareuse à bras est passée par là. Un saccage. On n'utilise plus aujourd'hui serpes ni croissants ; on ne sait plus plesser les haies. On n'a plus temps...
À un détour de la route, à l'orée d'un chemin creux, une pancarte jaune fluorescent avec cette indication fléchée : QUAD. Le week-end, la campagne est livrée au vrombissement des sports mécaniques. On s'emploie à transformer en fondrières les rares sentiers encore épargnés par les machines agricoles...
"... le paysage est celui
où se déroulera
une bataille d'étrangers
dont l'air charriera les bruits
dans cette campagne altérée
où tremblent à peine les cimes."
Triste décor. Où est l'harmonie du "paysage humain" célébré par Follain ?

jeudi, 05 janvier 2006

Diem perdidi

Encore une de ces journées "bien gâchées", au bout desquelles on a le sentiment de n'avoir rien fait, parce que, justement, on a dû s'acquitter d'une foule de tâches dérisoires et fastidieuses. Parce que, dès le matin, un visiteur importun vous a entretenu pendant une heure de fariboles sans intérêt en buvant votre chardonnay ; parce que vous avez découvert une fuite d'eau dans la buanderie et qu'il a fallu appeler le plombier ; parce que ledit plombier est passé à l'heure de la sieste, et qu'il n'a pas refusé le café qu'on lui offrait par pure politesse ; parce qu'on s'aperçoit, au moment de se mettre à table, qu'il ne reste plus de pain, ou qu'on vous téléphone pendant le dîner...
J'aurai tout de même trouvé le temps de lire quelques nouvelles de John Harvey — Now's the time — et de réécouter la musique funèbre maçonnique de Mozart, cette "Maurerische Trauermusik" (K 477) que Jacques A. Bertrand évoque avec émotion dans Le Pas du loup (Julliard, 1995). Un écrivain rare, un beau texte, que j'ai eu envie de feuilleter de nouveau. Finalement, je ne l'ai peut-être pas perdue complètement, cette journée...
Tiens, il est plus de minuit : nous sommes déjà demain ! 

lundi, 02 janvier 2006

Grande rhétorique

Le millésime a changé, les jours s'en vont, la connerie demeure ; les brillants orateurs qui nous dirigent, ignorant toute trève, continuent à nous pisser aux oreilles à qui mieux mieux.

Entendu aujourd'hui à la radio, ceci, de M. Copé — je crois :
"Nous avons toujours dit qu'un état d'urgence c'était un état... d'urgence."

On veut bien admettre, avec Dupriez, qu'il y a "une vérité de la tautologie qui est victoire de l'existence sur les essences" ou que "presque toutes les tautologies s'accompagnent d'une diaphore plus ou moins marquée qui les justifie" (Gradus, 10/18, p. 446-447), on n'en a pas moins le sentiment, en entendant ce genre de propos que le flatus vocis se substitue dans tous les domaines à l'analyse, au raisonnement, à l'argumentation. Ce qui pourrait n'être que verbigération inepte ou sottise jaculatoire est, en fait, moins risible qu'inquiétant, comme le notait déjà Barthes dans son "Racine est Racine" : "... la tautologie est toujours agressive : elle signifie une rupture agressive entre l'intelligence et son objet, la menace arrogante d'un ordre où l'on ne penserait pas. Nos tautologues sont comme des maîtres qui rirent brusquement sur la laisse du chien : il ne faut pas que la pensée prenne trop de champ..." (Mythologies, Points/Seuil, 1970, p. 90)

samedi, 31 décembre 2005

Vigile morose

LA SOIRÉE DE DÉCEMBRE

Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir
Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté ?
Oh ! je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre
Ce minutieux mouvement d'herbe de mes mains
Cherchant vos mains parmi l'opaque sous l'eau plate
D'une journée, le long des rives du destin !
Qu'ai-je fait pour vous retenir quand vous étiez
Dans les mornes eaux de ma tristesse, ensablés
Dans ce bief de douceur où rien ne compte plus
Que quelques gouttes d'une pluie très pure comme les larmes?
Pardonnez-moi de vous aimer à travers moi
De vous perdre sans cesse dans la foule
Ô crieurs de journaux intimes seuls prophètes
Seuls amis en ce monde et ailleurs !

(René-Guy Cadou, Les Biens de ce monde, 1951)

En dépit de la promesse d'aimables agapes, ce dernier jour de l'année, d'une douceur perfide, est, comme toujours, vaguement déprimant. Les huîtres, elles, n'ont pas d'états d'âme et vivent leurs derniers instants dans l'ignorance de leur fin prochaine... Heureuses huîtres !

Clown triste

Nous aurons ce soir une pensée pour Giani Esposito, mort un premier janvier, il y a un peu plus de trente ans. L'ironique morosité de son évocation de la Saint-Sylvestre avait-elle quelque chose de prémonitoire ?
[...]
Mon smoking tout crotté, je reprends ma course,
fuyant la Madeleine et puis la Bourse.
je pense à saint François face aux notables :
"l'argent, messieurs, c'est le crottin du diable."

Ah ! Ah ! Mon dernier rire de l'année.
Minuit: mon premier rire de l'année.
Je pars chercher les autres clowns en ville,
mon cocktail smerdiakoff et ma sébile...

(Paris le désert)

vendredi, 30 décembre 2005

Une odeur de brûlé

À l'intention des esprits chagrins qui seraient choqués que l'on pût sauter d'un instantané scatologique à la musique des anges, rappelons que les lettres de Mozart révèlent des préoccupations stercoraires quasi obsessionnelles. On en trouvera quelques exemples dans le dossier "spécial Mozart" (eh ! oui, encore !) du Nouvel observateur (du 22 décembre 2005 au 4 janvier 2006, p. 78-79). Ceci, par exemple : "Au moment où je me lève, j'entends quelque chose de très faible — mais je sens aussi comme une odeur de brûlé : où que j'aille, ça pue [...] Finalement maman me dit : je parie que tu en as lâché un. Je ne crois pas, maman. Si, si, c'est sûr ! Pour preuve, je me mets l'index dans le cul, puis le porte à mon nez et — Ecce provatum est, maman avait raison." (Lettre à sa cousine, 1777)

La musique des anges

Dans L'Express "spécial Mozart" (du 22 décembre 2004 au 5 janvier 2006), ces propos de Michel Tournier : "Mozart est-il le plus grand compositeur de tous les temps ? La formule paraît excessive [...] La grandeur en musique, c'est Jean-Sébastien Bach qui l'incarne. Cioran disait que sa musique était la seule preuve sérieuse que nous ayons de l'existence de Dieu. Et il y a cette histoire : quand les anges musiciens jouent pour Dieu, ils jouent du Jean-Sébastien Bach. Mais quand ils se retrouvent entre eux, ils se jouent du Mozart. Et Dieu vient écouter à la porte."
Jolie parabole, mais la question "Qui est le plus grand ?" est-elle bien pertinente ? Cette manie des classements, des hiérarchisations et des records confine à la stupidité. J'ignore si Mozart est "le plus grand compositeur" ou "le génie par excellence", et d'ailleurs je m'en moque. Mais, comme quelque 60.000 mozartiens avertis ou parfaitement dilettantes avant moi, je viens de faire l'acquisition de l'intégrale distribuée par Abeille Musique, et je prends à l'écouter "un plaisir extrême"...

jeudi, 29 décembre 2005

Petite anthologie portative 18

Chat perdu
Chiant
Dans le jardin. C'est l'hiver.

(Shiki, in Maurice Coyaud, Fourmis sans ombre, Phébus, 1978)

mercredi, 28 décembre 2005

"La grande roseraie blanche de toutes neiges à la ronde..."

Mise en place du plan grand froid pour les oiseaux. Il faut regarnir les mangeoires de tournesol, accrocher de nouvelles boules de graisse, répandre des miettes sur le balcon, verser de l'eau tiède dans les abreuvoirs gelés... Les clients sont encore plus nombreux qu'à l'habitude : mésanges charbonnières, mésanges bleues, nonnettes, mésanges huppées ou à tête noire ; le rouge-gorge solitaire, les bandes de moineaux effrontés ; les sitelles et le pic épeiche, pinsons et chardonnerets, merles et même, redoutables écornifleurs, quelques étourneaux sansonnets.
Tout cela virevolte, va, vient en un ballet continuel, régi par de complexes préséances, des manœuvres d'intimidation, des astuces de pique-assiettes — tout cela babille, zinzinule, fringote...Tant de tapage et d'agitation fébrile ne sont pas sans évoquer le manège du genre humain !

mardi, 27 décembre 2005

Météo 11

C'est l'hiver et — qui l'eût cru ? il fait froid. On annonce même des chutes de neige de l'ordre de 10 cm dans l'Ouest de la France ! Il n'est question que de cartes de vigilance et de "plan grand froid". L'homme moderne est singulièrement désemparé devant les météores. Nos aïeux, qui ont dû connaître des hivers autrement plus rigoureux, étaient-ils aussi frileux ? Il leur en fallait plus, semble-t-il pour qu'ils perdissent le nord et oubliassent de sauver le pot au vin :
"... le Capitaine Martin du Bellay recite, au voyage de Luxembourg, avoir veu les gelees si aspres, que le vin de la munition se coupoit à coups de hache et de coignee, se debitoit aux soldats par poix, et qu'ils l'emportoient dans des panniers." C'est du moins ce que rapporte Montaigne (Essais, I, 35, "De l'usage de se vestir"). Jean Follain évoque également cette "glace rouge", qu'en l'an 1812, en Russie, "la hache du sapeur / dut [...] partager / entre tous même moribonds" ("Glace rouge", in Territoires, Gallimard, 1953).
Passant ce matin près de Riom, noire sous ses toits poudrés de blanc, je songeais à Larbaud, qui, pour donner une idée de la tristesse de la ville natale de Leopardi ("abborrito e inabitabile Recanati"), la comparait à "Riom en hiver"... Le froid n'était tout de même pas tel, aujourd'hui, que les vignerons de Saint-Bonnet dussent débiter le madargue ("le vin noir de la Limagne" dont parle Huysmans) à la cognée.