samedi, 31 décembre 2005
Vigile morose
LA SOIRÉE DE DÉCEMBRE
Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir
Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté ?
Oh ! je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre
Ce minutieux mouvement d'herbe de mes mains
Cherchant vos mains parmi l'opaque sous l'eau plate
D'une journée, le long des rives du destin !
Qu'ai-je fait pour vous retenir quand vous étiez
Dans les mornes eaux de ma tristesse, ensablés
Dans ce bief de douceur où rien ne compte plus
Que quelques gouttes d'une pluie très pure comme les larmes?
Pardonnez-moi de vous aimer à travers moi
De vous perdre sans cesse dans la foule
Ô crieurs de journaux intimes seuls prophètes
Seuls amis en ce monde et ailleurs !
(René-Guy Cadou, Les Biens de ce monde, 1951)
En dépit de la promesse d'aimables agapes, ce dernier jour de l'année, d'une douceur perfide, est, comme toujours, vaguement déprimant. Les huîtres, elles, n'ont pas d'états d'âme et vivent leurs derniers instants dans l'ignorance de leur fin prochaine... Heureuses huîtres !
17:55 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
Rien ne ressemble à rien, c'est là que tout commence !
Écrit par : Ray | samedi, 31 décembre 2005
Très beau poème, que je ne connaissais (évidemment) pas.
Écrit par : Guillaume Cingal | lundi, 02 janvier 2006
Cadou est un poète très attachant, que certains considèrent avec dédain, peut-être parce que sa langue est simple et qu'on trouve ses textes dans bon nombre de manuels scolaires ; peut-être parce qu'il était lui-même instituteur — et fort peu théoricien...
Il est intéressant de voir quels sont les préférences littéraires ou les parrainages qu'il revendique dans son "anthologie", très éclectique : Éluard, Apollinaire, Aragon ou Claudel, certes, mais aussi Max Jacob, Saint-Pol-Roux, Milosz, Essenine, Lorca...
On peut imaginer de plus mauvais choix — et de plus mauvais goûts !
Écrit par : C.C. | mardi, 03 janvier 2006
Avant-hier, sur l'ordinateur d'un ami lyonnais, j'ai raté mon envoi.
Je m'y émerveillais de la belle nostagie du texte de Cadou. C'est "mon"poème pour les amis lointains.
Merci pour votre quatrain de Pernette du Guillet. Vous avez raison de la remettre en notre mémoire. Mais il y a tant de gens à célébrer dans cette ville-carrefour.
Scève par exemple qui, peut-être aima, et fut aimé par l'une et l'autre. L'une ardente, brûlante : Louïse ! L'autre,Pernette, calme mais non moins profonde :
Si le servir mérite récompense
Et récompense est la fin du désir
Toujours voudrait servir plus qu'on ne pense
pour non venir au bout de mon plaisir.
Et négligeons le trop léger Olivier de Magny !
Écrit par : grapheus | mercredi, 04 janvier 2006
est ce que Cadou - et Scève ????- aurait été d'accord avec ce qui suit :
"le fait que tous les poètes du monde entier soit des alcoolos est une foutue bonne indication sur l'état de ce monde " (lettre de 1961)
"je pense que la poésie , bonne ou mauvaise , est la seule activité qui puisse m'empêcher de devenir encore plus fou .je pourrais payer pour écouter un psychiatre me dire ce que je raconte làet l'on se sentirait mieux tous les deux . Seulement lui il se sentirait mieux que moi, parce qu'il aurait eu mon fric et une jolie secrétaire qu'il mate quand elle passe dans son cabinet et qu'il baise ..." (lettre de 1964)
deux extraits de la Correspondance de Bukowski chez vient de paraitre chez Grasset
Écrit par : hozan kebo | mercredi, 04 janvier 2006
Sur les Lyonnais, on a écrit beaucoup de choses — et souvent (en particulier sur Scève) fort érudites. Peut-être un peu trop : quelles significations absconses n'a-t-on pas cru entrevoir dans la "Délie" ! Pour ma part, je relis toujours avec bonheur les notices rédigées par Albert-Marie Schmidt pour l'édition des "Poètes du XVIe siècle" dans la Bibliothèque de la Pléiade... C'est brillant, subtil, non dépourvu d'humour — et toujours éclairant. Ainsi, sur Pernette du Guillet : "Sa grâce naturelle et mondaine l'autorise à tourner sa mélancolie mentale en aimables chansons d'apparence badine, en épigrammes dont la pointe est si fine qu'elle chatouille au lieu d'égratigner, en élégies brouillonnes où tous les ordres de son être, émus par de douteux revers, essaient simultanément de protester. Alors que Maurice Scève mêle aux spéculations les moins terrestres mille images cruellement objectives, et que Louise Labé s'attache à ses poèmes comme Vénus à ses proies, Pernette du Guillet, réduisant doucement en ses vers la distance qui séparerait leur fond de leur forme, tend à appauvrir son vocabulaire, à l'exténuer, à l'abstraire. Il en résulte une œuvre singulièrement décantée, malgré quelques bouillonnements diaprés de lie baroque, l'hymne d'un cœur spirituel dont nous souhaiterions qu'il fasse à nouveau rêver les cervelles humaines, car il compte parmi les réussites les plus rares de nos lettres féminines." Voilà. Pas besoin de jargonner pour atteindre à l'essentiel !
Écrit par : C.C. | mercredi, 04 janvier 2006
H.K. : votre question, qu’on pourrait éluder comme une simple boutade, est en fait d’une redoutable complexité ! Difficile d’imaginer un « dialogue des morts » mettant en présence dans d’improbables limbes littéraires les ombres de Scève, Cadou et Bukowski. Dialogue de sourds, sans doute, ou soliloques parallèles sur les hypostases de l’ivresse, de la douleur et le poids des mots… Trois « hautes solitudes ». Scève, platonicien et pétrarquisant, « bien-yvre » traversé par l’enthousiasme poétique, jouissant douloureusement de sa souffrance sublimée, revendiquée dans la devise liminaire de la « Délie » : « Souffrir non souffrir ». Cadou, « ivrogne de la vie qui conjugue au présent / le liseron du jour et le fer de la grille », hanté par la proximité de la mort, cherchant désespérément à saisir l’instant, à entrevoir l’infini dans les menues épiphanies du quotidien. Comme, plus tard Ungaretti : « M’illumino / d’immenso ». Bukowski, le plus désespéré de tous, parce que les mots et la souffrance ne peuvent lui procurer l’ivresse, dont les Romantiques ont martelé la nécessité. Bukowski n’a pas des ailes immenses qui l’empêcheraient de voler, mais de vilains moignons qui le condamnent à de ridicules sautillements dans la gadoue… C’est du moins ce qu’il croit, et c’est pour cela qu’il boit… Et qu’il ne sait pas parler d’amour sans parler de bite ou de con...
Tout ce monde là aurait bien besoin, en effet, d’un soutien psychologique ! Il est à craindre que nous n’ayons, dans l’avenir, de plus en plus de psychologues — et de moins en moins de poètes.
Écrit par : C.C. | mercredi, 04 janvier 2006
mon cher CC , très sincèrement : chapeau ! rapprocher avec autant de brio les "hautes solitudes" de Scève , Cadou et ..... Bukowski , c'est tout bonnement remarquable .
l est à craindre que nous n’ayons, dans l’avenir, de plus en plus de psychologues — et de moins en moins de poètes.
Cet avenir est si proche qu'il ressemble bien à un aujourd'hui !
Écrit par : hozan kebo | jeudi, 05 janvier 2006
Les commentaires sont fermés.