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samedi, 08 avril 2006

Polars 5

Intéressante exégèse d'un haïku classique, dans Miami blues, de Charles Willeford :

"... tous les mois paraissent encore des articles sur le haïku le plus célèbre de Basho. Je vais vous en donner une traduction littérale, plutôt qu'une transcription de dix-sept syllabes. Sur le tableau il écrivit :

Vieille mare
Grenouille plonge
Bruit d'eau.

 

— Le voilà, dit monsieur Turner en se grattant la barbe avec le bâton de craie. Vieille mare. Grenouille plonge. Bruit d'eau. Ce qui manque, bien sûr, c'est l'onomatopée du bruit de l'eau. Mais le sens est suffisamment clair. Quel est-il ?

[...] Un jeune homme qui portait un jean dont les jambes avaient été coupées, un débardeur d'un bleu passé et des chaussures de sport usées, sans chaussettes, leva la main droite cinq centimètres au-dessus de sa tablette :
— Eh bien, vous, alors, dit le professeur en le désignant avec sa craie.
— Ce que ça signifie, je crois, commença l'étudiant, c'est qu'il y a une vieille mare. La grenouille, qui veut aller dans l'eau, arrive et plonge. Quand elle saute dans l'eau, ça fait un bruit , comme plouf !"

(Charles Willeford, Miami blues, trad. Danièle et Pierre Bondil, Rivages/Noir, 1991)

À première vue, et vraisemblablement du point de vue de l'intentio auctoris, il s'agit là d'une paraphrase indigente et bouffonne, dénotant la pesante stupidité de l'étudiant. À bien considérer les choses, c'est la seule exégèse possible d'un texte qui atteint à l'absolu par la redondance, au sublime par le trivial, à la plénitude du sens par le presque rien.

Politique 5

Je n’ai pour le monde politique ni curiosité ni sympathie. Verbigérations, grenouillages mesquins, trahisons et palinodies constituent semble-t-il l’essentiel de l’activité des "imbéciles et des filous" accrochés à leur siège ou à leur maroquin. Quelle promptitude au reniement dès que le vent menace de tourner ! dans ce contexte de pleutrerie et d’incompétence générales, l’entêtement d’un Villepin, lâché par ses alliés de la veille, accablé par les clabaudeurs de tout poil, finit par ressembler à du courage et mérite une certaine considération.

vendredi, 07 avril 2006

Graffiti 2

Ceronetti, Queneau : même attention portée aux inscriptions, enseignes, affiches, graffiti... On a cependant le sentiment que l’un s’amuse et l’autre pas. Dans Courir les rues, l’anecdotique, le cocasse, la précarité des signes bancals et balbutiants suscite de dérisoires épiphanies — "Lentilles vert émeraude" ou "Vaugelas bouquiniste". Dans les carnets de Ceronetti, l’épitaphe, la plaque commémorative alimente une méditation tranquille sur la précarité de l’être et des choses — Et in Arcadia ego... Placards et publicités omniprésents clament absurdement la trivialité et la sottise des temps :

"Je rentre à l’hôtel au milieu de giclées de gaz au plomb, ébloui par les phares. Qui peut arrêter l’abrutissement humain ?
LE CHRIST EST LA VOIE DE LA VÉRITÉ ET DE LA VIE.
AMUSE-TOI ET GAGNE UNE PANDA." (La Patience du brûlé, Albin Michel, 1995, p. 85)
J'aimais beaucoup, bel exemple de poésie brute, ce graffiti qui s'étalait naguère en caractères rouges sur un mur de la rue Bardoux, à Clermont-Ferrand :
"MARIE (03) VOUS EMMERDE TOUS"
Je crains qu'il n'ait été effacé. "Omnia rodit edax, vel sint adamantina, tempus."

jeudi, 06 avril 2006

"En ce temps de grande paresse..."

Nulla dies sine linea ?

C'est fait. Voilà rempli le contrat tacite du blogueur consciencieux.

mardi, 04 avril 2006

Substantifs féminiformes

Extrait d’un mail émanant de la SIÉFAR (Société Internationale pour l'Étude des Femmes de l'Ancien Régime) :

"[…] L’année dernière, pour la première fois dans l’histoire du concours de l’Agrégation de Lettres, les œuvres de Louise Labé ont été mises au programme de littérature française ; elle était la seconde autrice à avoir cet honneur pour le XVIe siècle.
Parmi les produits inattendus de la floraison de travaux généralement consécutive à un tel événement, vient de paraître un livre de Mireille Huchon, professeure de langue française à la Sorbonne (Paris IV), qui remet en cause la paternité de Louise Labé sur le volume des Euvres paru en 1555 et réédité en 1556 […]"

Autrice, professeure ? Voilà assurément des audaces lexicales qui contribuent grandement à libérer la femme !
à
propos du mot auteur, le Robert historique de la langue française indique : "Le mot n’a pratiquement pas de féminin en français d’Europe : auteuresse (av. 1921), autoresse et authoress (1867, chez Taine, anglicisme), ni autrice, plus régulier et ancien ne sont usuels." Pour professeur, le même dictionnaire précise : "malgré la tentative de quelques formes féminines (professeuse, professoresse, une professeur), le masculin est seul en usage en français d’Europe, en parlant d’une femme."
En revanche, on notera que la forme conne ne fait l’objet d’aucune réserve.

lundi, 03 avril 2006

"Je pense que vous estes venu par la pluye : vous estes encore tout tortant"

Parti il y a une semaine avec la pluie, je rentre sous les giboulées.

Bref passage à Lille, au lendemain de la manifestation "historique" de mardi dernier. Dans toutes les rues, autour de la Grand-Place, la police, omniprésente ; on n'a pas vraiment envie de s'attarder. Un rapide passage au "Furet", où j'achète Les Marécages, de Joe R. Lansdale (excellent polar sudiste qui n'est pas sans rappeler La Nuit du chasseur) et un recueil de Follain, puis, provision faite de vieux lille, de mont-des-cats, de maroilles et de bière de Saint-Amand parfumée aux baies de genièvre, je regagne mon pied-à-terre de Wazemmes. De ma fenêtre, j'observe le manège d'un couple de pies qui construit son nid dans un platane du boulevard.
Après le Nord, quelques jours en Lorraine. On peut préférer, bien sûr, "ces pays imbéciles où jamais il ne pleut", mais c'est un plaisir de choix que de profiter d'une après-midi particulièrement grise, venteuse et sinistre, pour aller visiter, de l'autre côté de la frontière, les monstrueuses friches industrielles de Völklingen, univers labyrinthique de ferraille, de rouille et de béton.
Plaisir de trouver, à mon retour, un colis de livres qui devrait m'occuper quelques jours. Les trois petits volumes vert pomme des Écrits de Gustave Roud, non coupés, ravissent l'œil et la main, et promettent maints bonheurs de lecture...

mardi, 28 mars 2006

Météo 14

Temps variable. Brèves éclaircies. Faibles averses...

Je pars pour quelques jours.

lundi, 27 mars 2006

Printemps des poètes 4

Depuis plusieurs semaines, je recherche à travers les livres accumulés un peu partout dans la maison le mince recueil de haïku que J. avait acheté pour moi, il y a quelques années, à la fête de L’Unità, à Casal Borsetti. En vain. Je retrouve en revanche des choses oubliées, comme ces solstices terrassés, de paul Valet (Mai Hors Saison, 1983) — une poésie d'une sourde violence : bribes laconiques, paroles éructées, grumeaux de trivialité surnageant dans le brouet fétide de la souffrance :

"… la poésie est un piège. On y sombre d’une façon si douillette, si ronronnante. Le joli pue."

Il y a, en effet, pas mal d’étrons le long des sentiers fleuris du Printemps des poètes.

dimanche, 26 mars 2006

La profondeur lyophilisée

Qu’un ivrogne profère un truisme, cela donne une brève de comptoir. Qu’un moraliste ou un philosophe la note sur ses tablettes, vous avez un apophtegme.

Il ne suffit pas que Nicolás Gómez Dávila ait écrit "La seule différence entre riches et pauvres, aujourd’hui, c’est l’argent" pour qu’on le considère comme un remarquable penseur ; mais il suffit qu’il ait signé cette platitude pour qu’on y soupçonne quelque tiefere Bedeutung.

(Citation trouvée sur le site du Magazine de l'homme moderne, traduction de Philippe Billé. Voir également l'article de Juan Asensio, alias le Stalker, "Gómez Dávila ou la passion de la réaction")

samedi, 25 mars 2006

Perché leggere i classici

Que lirons-nous en ces jours de chienlit ? Nous n'avons plus grand-chose de neuf à feuilleter. Les journaux sont trop déprimants, trop complaisants, trop prompts à traquer l'anecdote croustilleuse, le fait-divers sanguinolent, l'obscène et le futile, trop enclins au psittacisme : "Le roi Midas a des oreilles d'âne..."
Relisons plutôt, en attendant que le facteur nous apporte Ceronetti, Gustave Roud et Gretel Ehrlich, les chroniques de Fruttero et Lucentini, qui, en une trentaine d'années, n'ont guère pris de rides : aujourd'hui comme hier, "la prédominance du crétin" s'impose, tapageuse et accablante. L'espèce des "mandarins rosés", on le voit ces jours-ci, n'est pas éteinte ! (voir "Le mandarin rosé", in La Prédominance du crétin, Livre de Poche, 1990, p. 86)
On peut aussi redécouvrir les articles politiques de Mirbeau, dont la lucidité tour à tour furibonde et désabusée ne messiérait pas à notre époque déboussolée. Justement : "Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c'est-à-dire qu'ils ne valent rien." (Le Figaro, 28 nocembre 1888)