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mercredi, 19 décembre 2012

Plaisir d'amour

Journal d'Allan Ginsberg, 1954 :
"Came home to my little room with the Irish family on 92nd street, turned on the table radio & we took to the bed. I wanted to take a crap but he kept me back saying, remarkably, No the dirtier the better."
(Journals : Early Fifties Early Sixties, Grove Press, 1992, p. 54)

Trad. Yves Le Pellec — Journal 1952-1962, Christian Bourgois, "Titres", 2012, p. 87 : "Vint dans ma petite chambre de la 92e Rue dans la famille irlandaise où j'habitais, on a mis la radio et au lit. Je voulais aller chier un coup mais il me retint en disant, prodigieux : Non, plus c'est sale plus c'est bon."

mardi, 18 décembre 2012

Le bibliobus du brave maître d'école Maria Wutz

Les livres sont pleins de choses surprenantes. Ainsi, dans un essai consacré aux livres que possédait Hitler :
"Parmi tous les moyens de se procurer des livres, a plaisanté Walter Benjamin, le plus sûr et le plus digne d'éloges est d'en écrire soi-même. Il évoque, à ce sujet, le maître d'école Wutz, héros d'un roman populaire du XVIIIe siècle qui, trop pauvre pour s'acheter des livres, relève des titres dans un bibliobus et, rentré chez lui, donne ces titres plagiés à ses propres œuvres." (Timothy W. Ryback, Dans la bibliothèque privée d'Hitler, Le Cherche Midi, trad. Gilles Morris-Dumoulin, 2008)
Que l'on donne Leben des vergnügten Schulmeisterlein Maria Wutz in Auenthal, de Richter, pour un "roman populaire", passe encore ; mais ce "bibliobus", tout de même, il fallait l'inventer !
On notera au passage que l'ouvrage où l'on relève ce genre de perles a été "élu meilleur livre de l'année par le Washington Post".

jeudi, 13 décembre 2012

"Un silence vibrant"

Solitaires, nous ne dialoguons qu'avec d'autres solitudes, attentifs au seul friselis des voix éteintes — ou très lointaines — s'échappant, furtives comme poissons d'argent, d'entre les pages tournées.

mardi, 04 décembre 2012

La cognizione del dolore 12

Situation — treizième volume des carnets de Calaferte. Presque à chaque page, des notes poignantes sur la souffrance, l'impuissance devant la maladie, "l'emprisonnement de l'impotence", alternant avec des instantanés plus sereins, laconiques célébrations de la beauté des choses :

"Linge de femme blanc mis à sécher, soulevé par le vent."
"La femme, pour midi, cueille dans son jardin deux belles laitues d'un vert tendre."
"Le papillon blanc au cœur de la pensée bleue."

Puis, plus ou moins attendu, au détour d'un paragraphe, voici le coup de gueule excédé. Le poète pudique et tendre, le mystique, confronté à la sottise, à la cruauté, a des emportements flaubertiens, "tonne contre" :

"Innombrables souffrances des animaux dans notre triste société de cons pourris."
"L'histoire est un condensé de la connerie et de la crapulerie humaines."
"Égoïsme, intérêt, fausse bonne conscience, méfiance, médisance, méchanceté, radinerie — l'esprit bourgeois m'insupporte."
"Vieux cons qui foutent des canaris en cage."

Comment ne pas éprouver une profonde sympathie pour le stigmatisé qui se résume dans cette autobiographie-express :

"À dix ans, qui étais-je ? — un révolté.
À soixante-trois ans, qui suis-je devenu ? — un révolté.
Je suis l'enfant-fou, l'enfant-poète." ?

lundi, 03 décembre 2012

Cornettes et sonneries 9

Abyssus abyssum invocat :
le néant trompette.

dimanche, 02 décembre 2012

Dimanche à la campagne 3

Invités à déjeuner dans une auberge de campagne perdue au cœur des Combrailles, nous partons sous une pluie glacée, qui se change vite en neige lourde et molle. Par de petites routes serpentines, tartinées d'une traîtreuse bouillasse, nous arrivons finalement à bon port, au fond d'une vallée qui pourrait bien être le bout du monde.
À l'auberge, accueil rude et chaleureux. On nous installe à la dernière table libre. Pour nous aider à patienter, on nous apporte du vin blanc, des bouteilles de crème de mûre, de cassis, de châtaigne. On se sert, à volonté. Ensuite viendront les cochonnailles, puis le jarret de porc ou la souris d'agneau, recuite dans une sauce aux champignons, accompagnée de pommes de terre dorées et de purée de panais, le plateau de fromages — bleu de chèvre, gaperon, tomme de brebis —, la salade verte, la tarte aux poires ou aux pommes, le tout arrosé d'un aimable vin de pays d'Auvergne. On nous laisse sur la table, après le dessert, la cafetière de cuivre et la carafe d'eau-de-vie.
Nous bavardons paresseusement, causant de tout, de rien jusqu'à la tombée de la nuit. Au retour, courte halte chez nos amis pour un dernier verre. Le chien obèse et cacochyme fait fête à ses maîtres...
Une bonne journée, dans notre France profonde.

vendredi, 16 novembre 2012

Funérailles

P. — vieux garçon inamical et avaricieux, "petit homme nain et contrefait, volontiers colérique" ("la raison physicale est parce qu'il a le cœur près de la merde"), m'informe de la mort d'Untel, que je connais à peine.
"Il faut, me dit-il, aller à ses obsèques — pour la famille."
Conformisme apotropaïque.
"Je ne vais, lui dis-je, qu'à l'enterrement de mes ennemis."

jeudi, 01 novembre 2012

"L'automne nébuleux, tous les ans, pour gémir..."

Triste journée d'automne, façon "tisane froide" à la Ponge.
Ce matin, visite rituelle au petit cimetière de Sologne bourbonnaise. Retour par les campagnes mélancoliques, "paix des pâtis" sous le ciel gris. Déjeuner frugal, sieste et lecture. Au-dehors, pluie et brouillard.
La nuit tombe vite. On se pelotonne dans le vieux fauteuil au cuir lacéré, naguère, par les chats ; on se caparaçonne de lainages et de tricots, de plaids, de châles, de couvertures, douillette clochardisation domestique.
On feuillette un mince recueil de Sinisgalli, s'agaçant d'y trouver une coquille — "crapaud" dans la limpide perfection d'un quatrain laconique :

Chaque année la distance change
entre les choses qui m'entoureny
même si je reste perclus
même si les choses sont inanimées.

mardi, 30 octobre 2012

Le grand style 22

"J'ai ressenti une violente envie de chier."

(Annie Ernaux, L'Événement — in Écrire la vie, Gallimard/Quarto, p. 308)

C'est un peu court, Madame, comparé aux quelque soixante-dix pages du premier chapitre de Lauve le pur. Chez Millet, la débâcle intestinale prend des dimensions picaresques et métaphysiques. Le souffle et le style peuvent susciter, on le comprend, une certaine jalousie de la part des écrivaillons constituant le gros du houraillis qui clabaude à vos côtés et réclame sa curée.

jeudi, 25 octobre 2012

"Vocem mihi fata relinquent"

Dans le hall de la maison de retraite, la petite vieille, "maigre jusqu'à l'invisibilité", sautille, cramponnée à son déambulateur. Émaciée comme la sibylle, comme Écho, elle répète inlassablement les derniers mots entendus :
"Bonjour, Madame.
— Madame... Madame... Madame..."
À mesure qu'on s'éloigne, la litanie décroît et meurt en un bourdonnement infime.