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vendredi, 28 octobre 2005

Vocabulaire 2

À propos du verbe énerver — dont le sens actuel constitue encore pour Littré un emploi abusif —, cette remarque dans le Dictionnaire critique de l'abbé Féraud (1787) : "Ce mot est beau au figuré." Suit une série d'exemples, dont le dernier ("La vertu dédaigne un vain faste, qui ne pourrait que l'affaiblir en l'énervant") est commenté en ces termes : "Il semble que dans cette dernière phrase on pourrait trouver du pléonasme, car affaiblir et énerver ont tant de rapport que c'est presque la même chose."

La bonne peinture 2

Le Nouveau Petit Larousse illustré, édition de 1936, propose, insérées dans la partie "Histoire et géographie", "16 Planches hors-texte en similigravure, donnant 83 reproductions des tableaux les plus célèbres et constituant ainsi — nous dit-on dans la préface — un précieux répertoire d'art". La peinture d'histoire, l'allégorie académique et, d'une manière générale, le pompiérisme dix-neuvième alimentent pour l'essentiel cette collection de vignettes, dont le noir et blanc souligne le pathos, exagère le côté lugubre ou inquiétant. Le Martyre de saint Denis, de Bonnat, La Justice et la Vengeance divine poursuivant le crime, de Prud'hon, sont tout simplement cauchemardesques... Je suis un peu déçu de ne pas retrouver ici, comme je m'y attendais, Les Énervés de Jumièges, superbe exemple de kitsch historique, que son étrangeté préserve miraculeusement du ridicule.

Les mots pour le dire

"Ne peux-tu essayer de faire voir les choses sans passer par la culture ?"

(Peter Handke, Essai sur la fatigue, Folio, 1996)

Un langage strictement univoque, purement dénotatif : rêve de logicien — ou de poète. C'est une erreur commune ou une conception vulgaire que de fonder la poésie sur la métaphore, l'allusion, le jeu complexe des références et des allusions, qui rendent toujours plus insaisissable le signifié gisant en-deçà de toute parole.

jeudi, 27 octobre 2005

Ah ! les oaristys...

"Nous parlions tendrement, sans pudeur, comme des amants qui peuvent tout se dire.

— Dites-moi, Miss Fraulein, vous n'avez pas de lait ?
— Il est soif, mon petit oiseau ?
— Non, je veux dire : du vrai lait de femme ?
— Ça ne pas possible ! Seulement si j'aurais un enfant.
— Et dites-moi, Miss Fraulein, nous n'allons pas avoir d'enfant ?
— Seulement si nous serions mariés...

Nous rentrions tard, par d'étroits sentiers. Nous nous y tenions par la main, par la taille. Comme des fiancés, pensais-je, car j'étais à l'âge où l'on ne distingue pas les fiançailles de l'amour."

(Maurice Pons, "Miss Fraulein", in Virginales, Julliard, 1955)

Un de ces auteurs dits "mineurs", dont les nouvelles ironiques et tendres, après un demi-siècle, ont gardé toute leur fraîcheur...

Paris Plage

L'opération "Paris Plage", dont c'était cette année la cinquième édition, est assez révélatrice de la frivolité des temps. Autrefois, c'est en port maritime — et non en "station balnéaire éphémère"— que l'on souhaitait transformer la capitale. Après Claude-Siméon Passemant au XVIIIe siècle, c'est un certain Jean-Jacques Anatole Bouquet de la Grye (1827-1909), polytechnicien, ingénieur-hydrographe de la Marine et membre de plusieurs sociétés savantes, qui se penchera sur la question avec un enthousiasme et une constance dont témoigne toute une série de publications :

— Résumé d'une étude sur la création d'un port de mer à Paris, Paris, Gauthier-Villars, 1882.
— La Mer à Paris, Paris, Société de Géographie Commerciale, 1882.
— Amélioration de la Seine. Paris port de mer, Paris, Berger-Levrault, 1884.
— Paris port de mer, conférence faite, le 11 novembre 1887 à la mairie de la rue Drouot, devant les membres de la Ligue des contribuables, Blais, Roy et Cie, 1888.
— Paris port de mer. État de la question par M. le vice-amiral Thomasset et Réponse aux critiques formulées dans le rapport des ingénieurs de la navigation de la Seine par M. Bouquet de La Grye, Paris, Société d'études, 20, rue de la Sourdière, 1888.
— Paris port de mer. Dernière réponse, Paris, idem, 1889.
— Paris port de mer. Rapport sommaire sur le projet d'un canal maritime entre Paris et la mer, Paris, idem, 1890.
— Paris port de mer, Paris, Gauthier-Villars et fils, 1892.

Notre ingénieur eût-il goûté les palmiers, le sable doré et "l'ambiance Brésil" ?

mercredi, 26 octobre 2005

Sempre caro...

Promenade en Bourbonnais. Villages minuscules aux noms allitérés : Vicq, Veauce, Valignat... Le paysage s'ouvre à l'ouest sur les vastes labours et les emblavures de la Limagne, se perd dans des lointains bleutés. Nous redescendons au crépuscule vers la vallée de la Sioule. Le soir tombe, et la fraîcheur...
Il faudrait ici les mots des poètes, Leopardi ou Bonnefoy.
"Così tra questa
Immensità s'annega il pensier mio:
E il naufragar m'è dolce in questo mare."
 
"Cette harmonie a un sens, ces paysages et ces espaces sont, figés encore, enchantés peut-être, une parole, il ne s'agit que de regarder et d'écouter avec force pour que l'absolu se déclare, au bout de nos errements. Ici, dans cette promesse, est donc le lieu."

Smoking / No smoking 4

"J'ai acheté dix cigarettes et deux cigares mais — tranquillise-toi — je les ai déjà fumés et je ne fume plus."
(Italo Svevo, lettre à sa femme, février 1905 — in Dernières cigarettes. Du plaisir et du vice de fumer, trad. de l'italien par Dominique Férault, Rivages poche, 2000)
 
Personnellement, j'ai l'esprit plus tranquille de savoir que je conserve à portée de main une boîte de 100 grammes de Kentucky Bird ("with Natural Flowers") à peine entamée, et que je peux trouver des Toscani Extra Vecchi chez le buraliste du coin. En cas d'urgence.

Le grand style 7

"Dans un hamac à Macao,
Faudrait qu'il fait chaud !"

(Philippe Léotard, "Mon cœur et le monde bougent", À l'amour comme à la guerre, 1989)

Smoking / No smoking 3

"Un savant médecin, M. Jolly, a décrit devant l'Académie de médecine les funestes effets, plus fréquents qu'on ne croit, produits sur la santé par l'abus du tabac : destruction des dents, maladies de l'estomac et digestions difficiles, puis, dans les cas plus graves, maladies de la poitrine, prédisposition à la paralysie et même à la folie.
Eh bien, mes enfants, les effets sur l'intelligence et la moralité sont encore plus désastreux. Les excès de tabac enlèvent peu à peu à l'intelligence deux de ses facultés les plus essentielles : l'attention et la mémoire. Ceux qui abusent du tabac et passent leur vie entière à fumer, vivent dans une sorte de rêve, l'œil perdu dans le vague, la paupière à demi fermée, ne pensant à rien, incapables d'attention soutenue, indifférents et égoïstes."
(G. Bruno, Francinet. Livre de lecture courante, Paris, Belin, 1889)

Mœurs des Batékés

"Ce sont les femmes qui cultivent les champs. Les hommes tuent le gibier dans la forêt, attrapent des rats, das crapauds, des sauterelles, de grosses chenilles jaunes, et se nourrissent de tout cela. Brrr !
Et puis, le croiriez-vous ? quand ils n'ont plus rien à se mettre sous la dent, ils se jettent sur leurs ennemis, font des prisonniers... et les mangent."

(E. Devinat, Lectures élémentaires illustrées — Pour les enfants de 7 à 10 ans, Paris, Delagrave, ca 1910)

Moralité de la leçon : "Restons justes et bons envers les malheureux nègres de l'Afrique."