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mardi, 18 octobre 2005

Polars 2

Ce qui frappe dans le "polar" : l'importance accordée aux notations et aux codes vestimentaires, aux nourritures et aux préparations culinaires, aux goûts musicaux de tel ou tel personnage.
Ainsi, chez John Harvey :
 
"Quant à Resnick, ses propres costumes avaient été faits sur mesure par un oncle tailleur, selon des modèles jugés élégants à Cracovie vers 1939 : veste croisée, aux revers larges, et coupés, fort heureusement, de façon généreuse ; au cours des années, leur style avait retrouvé, puis reperdu, les faveurs de la mode d'innombrables fois. Celui qu'il portait aujourd'hui était encore passable, si ce n'était cette tache indélébile de goulasch au paprika et la présence d'une épingle de nourrice qui empêchait — de justesse — la doublure rayée de tomber plus bas que le poignet de la veste."
"Il y avait de la soupe à l"aneth et au concombre dans le freezer, et ils la mangèrent avec du pain de seigle que Resnick avait acheté en sortant de chez Aldo. Ensuite, une salade composée assaisonnée au miel et à l'huile d'olive, un morceau de Wensleydale comme fromage, et des parts modestes de tarte aux prunes."
"Quand, pas tellement plus tard, Resnick monta se coucher, il laissa la chaîne allumée, Lester en pleine gloire et au mieux de sa forme lançant sur son saxophone des notes légères au rythme sinueux qui le suivirent jusqu'en haut de l'escalier : I Never Knew, If Dreams Came True, I've found a New Baby, The World Is Mad, première et deuxième partie."
 
(J. Harvey, Eau Dormante, Rivages/Noir, 2003)

lundi, 17 octobre 2005

La cognizione del dolore 3

Demain, clinique. Je pense à ce poème de Boris Vian :

"J'ai mal à ma rapière
Mais je l'dirai jamais
J'ai mal à mon bédane
Mais je l'dirai jamais
J'ai mal à mes cardans
J'ai mal à mes graisseurs
J'ai mal à ma sacoche
Mais je l'dirai jamais, là
Mais je l'dirai jamais."

 

On est ici dans le registre de la prétérition. Le seul possible.

Le grand style 5

"Il vient de m'arriver un petit accident. J'étais allé me promener autour d'une grande pièce d'eau sur laquelle il y a des cygnes. Ces oiseaux sont si jaloux de leur domaine, qu'aussitôt qu'on en approche ils viennent à vous au grand vol. Je m'amusais à les exercer, et quand ils étaient arrivés à un des bouts de leur empire, aussitôt je leur apparaissais à l'autre. Pour cet effet il fallait que je courusse de toute ma vitesse. Ainsi faisais-je, lorsque je rencontrai devant un de mes pieds une barre de fer qui servait de clef à ces ouvertures qu'on pratique dans le voisinage des eaux renfermées et qu'on appelle des regards. Le choc a été si violent que l'angle de la barre a coupé en deux ou peu s'en faut, la boucle de mon soulier ; j'ai eu le cou-de-pied entamé et presque tout meurtri. Cela ne m'a pas empêché de plaisanter sur ma chute qui me tient en pantoufle, la jambe étendue sur un tabouret."
(Diderot, lettre à Sophie Volland du 17 septembre 1760)
Tout ici nous séduit : la facilité de l'épistolier, l'aisance du conteur, la simplicité de l'homme et cette aptitude rare à l'auto-dérision. De tous les "Philosophes", celui qui suscite le plus de sympathie et qu'on relit avec un réel bonheur...

O fortunatos nimium...

Sur un panneau, en bordure de la nationale :

Dimanche 23 octobre
FÊTE DE LA POMME ET DU CIDRE
...

Tout au long de l'année se succèdent dans nos campagnes ces célébrations imbéciles d'activités rurales que seuls regrettent ceux qui ne les ont pas connues. Les badauds qu'ébaubissent le battage à l'ancienne, le pilage des pommes ou la cuisson du pain au four banal n'ont pas beaucoup plus de cervelle — et assurément moins de classe ! — que madame de Sévigné parlant des joies de la fenaison (consistant, comme on sait, à "batifoler" dans l'herbe).

Mathieu Riboulet évoque fort justement ces manifestations dans son dernier roman : "On organise maintenant des fêtes de la batteuse d'une obscénité telle que personne ne s'en rend compte, pour célébrer l'ignorance des citadins et parachever l'humiliation des paysans restants en leur faisant l'aumône d'une mémoire de carton-pâte en remplacement de celle, broyée, qu'on a laissée filer." (Le Corps des anges)

dimanche, 16 octobre 2005

Laconisme 2

De même que les individus taciturnes semblent pénétrés de sagesse — alors qu'ils sont parfois tout simplement stupides —, les formules laconiques paraissent inévitablement marquées au coin du bon sens, porteuses de vérités universelles. L'ellipse érige le truisme en apophtegme. C'est, selon l'expression de David Mitchell, "la profondeur lyophilisée" — quelque chose comme "l'eau en poudre", inventée jadis par Gaston Pomier-Layrargues.

Rimbaud

Sombre dimanche. Les "bons soirs de septembre" ont fait place aux crépuscules trempés de pluie froide. Tout un peuple de corneilles craille dans les ravines, du côté du cimetière...
Je me rappelle La Bande à Bonnot, de Philippe Fourastié, et Jean-Pierre Kalfon arpentant de tristes labours en déclamant "Les corbeaux" :
"Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand, dans les hameaux abattus,
Les longs angélus se sont tus...
Sur la nature défleurie,
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux..."

samedi, 15 octobre 2005

Le sens de la formule

De Lichtenberg : "L'âne me fait l'effet d'un cheval traduit en hollandais."

("Remarques diverses" in Aphorismes, trad. Marthe Robert, Pauvert, 1966)

Combinatoire

Combien de combinaisons possibles le XLIe "Baiser d'amour" de Quirinus Kuhlmann autorise-t-il ? Les réponses diffèrent ; elles sont toutes vertigineuses. Selon Marc Petit, un seul des quatrains du poème se prêterait à 1 273 726 838 815 420 399 851 343 083 767 005 515 293 749 454 795 473 408 000 000 000 000 lectures différentes. Les Cent mille milliards de poèmes de Queneau, en comparaison, font figure d'amusette arithmétique !

La fabrique du crétin ancien style

"A tant son pere aperceut, que vrayement il estudioit tresbien, & y mettoit tout son temps, toutesfoys que en rien ne proffitoit. Et qui pis est, en devenoit fol, niays, tout resveur, & rassoté. Dequoy se complaignant à dom Philippe des Marays Viceroy de Papeligosse, entendit, que mieulx luy vauldroit rien n'apprendre. Car leur sçavoir n'estoit, que besterie, & leur sapience n'estoit que moufles, abastardissant les bons, & nobles esperitz, & corrompant toute fleur de jeunesse."
(Rabelais, Gargantua, chap. XIV, "Comment Gargantua fut mis soubz aultres Pedagogues", éd. Dolet, Lyon, 1542)

Scatologie

Plusieurs de mes notes récentes contenant des citations plus ou moins stercoraires, j'appartiens sans nul doute à la tourbe grossière que stigmatise l'incontournable Finkielkraut dans une récente interview. En gros : il n'y a plus de culture, plus de littérature, ce ne sont que mots gras et scatologie... Or, "Il est tousjours advis au chat breneux que la queuë luy pue."

Ce qui me réconforte et me trouble tout à la fois, c'est que le grand philosophe contemporain ait pu condescendre à accorder son entretien à Paris-Match, qui n'est sans doute pas ce qui se fait de mieux en matière de culture et de bon goût. Est-il bien cohérent de stigmatiser la vulgarité des autres dans ce genre de torchon — entre un reportage voyeuriste sur le Cachemire et un article sur Céline Dion ?