mardi, 17 novembre 2009
"Les chers corbeaux délicieux"
À la douceur traîtreusement printanière de la matinée succède une après-midi froide, qui tressaille sous de brusques bourrasques, convulsives et mouillées. Un brouillard cotonneux se répand sur la campagne à l'approche du crépuscule. Dans le ciel couleur de cendre, des volées de freux coraillent aigrement. On a envie soudain d'une poêlée de châtaignes grillées et d'un verre de vin rouge, de quelques notes de Satie. Plaisirs minuscules de novembre...
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samedi, 14 novembre 2009
Petite anthologie portative 56
OISEAUX
l'exil s'en va ainsi dans la mangeoire des astres
portant de malhabiles grains aux oiseaux nés du temps
qui jamais ne s'endorment jamais
aux espaces fertiles des enfances remuées
(Aimé Césaire, "Ferrements", in La Poésie, Seuil, 2006)
21:51 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (0)
Cum commento
Je retrouve, sous l'une des piles de livres qui encombrent ma table de travail (il faudrait peut-être ici des guillemets ou un point d'ironie), l'anthologie de textes de René Char, Poèmes en archipel — publiée il y a un an ou deux en "Folio". Il est assez rare qu'on puisse dire d'un livre de poche qu'il est beau et, en ce sens, ce volume constitue une remarquable exception : papier de qualité, typographie aérée, illustrations nombreuses et bien choisies... Mais était-il nécessaire — même s'il s'agit là d'une édition destinée, comme le laisse entendre la préface, à des lycéens — de nous infliger des gloses superfétatoires, balourdes, d'un prosaïsme aussi scolaire ? Un seul exemple, pris au hasard. "Je cours au terme de mon cintre, colisée fossoyé" appelle la note suivante : "Le monumental amphitéâtre de l'antique Rome, terrain d'exploits des gladiateurs, est ici ceint d'un fossé." Voilà qui est éclairant et utile. On pense à Rabelais, à propos des Pandectes commentées par Accurse : "Une belle robbe d'or triomphante et précieuse à merveilles, qui fust brodée de merde."
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Devoir de réserve
Monsieur Raoult doit confondre Marie N'Diaye et Marie Crow Dog.
08:08 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (1)
jeudi, 12 novembre 2009
Courir les rues 3
Une bicoque maussade dans une rue sinistre. Sur la porte, badigeonnée d'un marron fécal, une demi-douzaine de plaques et d'écriteaux, blancs, bleus ou rouges :
"MARTINE V..."
"Mme V..."
"DEFENSE
D'ENTRER"
"ATTENTION
AU CHIEN"
"Mr et Mme V..."
"- INTERDIT -
A TOUS REPRÉSENTANTS
ET TÉMOINS DE JÉHOVAH"
C'est à Montluçon, en Bourbonnais — "the sweetest part of France", notait Sterne dans son Voyage sentimental...
19:05 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (2)
mardi, 10 novembre 2009
Solderie 4
Hier, solderie : j'achète une écharpe mauve, un petit chapeau écossais pure laine dans les tons vineux — bordeaux et lie-de-vin —, un Dictionnaire de l'art culinaire français. Je saurai tout, désormais, sur les "pommes Chatouillard", la "salade Francillon" (à ne pas confondre avec la glace du même nom) ou le "faisan à la Sainte-Alliance" ("faisan rempli d'une farce à la bécasse, rôti et dressé sur un canapé tartiné de purée de bécasse"). Aujourd'hui, petite visite au brocanteur local : meubles et vaisselle sans grand intérêt, livres jetés pêle-mêle dans un petit cagibi. Pour deux euros, j'emporte un Concise Oxford Dictionary ("sixth edition") comme neuf — et dont je n'ai aucun besoin —, le Livre de Mormon et un exemplaire de la première édition de L'Univers concentrationnaire de David Rousset, qui s'ouvre sur cette double épigraphe :
"Votre liberté est trop simple, mon bel ami, pour faire une belle fourchette à escargot, instrument bifide. Et je suis scellé dans la muraille. Bonne nuit. Les becs de gaz s'allument dehors par nos ordres au cas où la comète que vous filerez — nous le savons par notre science en météorologie — ne serait point un astre suffisant. Vous verrez très loin dans le froid, la faim et le vide. Il est l'heure de notre repos. Notre geôlier va vous congédier." (Alfred Jarry, Ubu enchaîné)
"Il existe une ordonnance Goering qui protège les grenouilles."
22:00 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (2)
vendredi, 06 novembre 2009
Sept chansons...
... pour répondre à la suggestion de Mauricette.
Jacques Bertin, Louvigné-du-Désert ;
Cuarteto Cedrón, La cerveza del pescador Schiltigheim ;
Leonard Cohen, The Guests ;
Giani Esposito, Les ombres sont chinoises ;
Léo Ferré, Richard ;
Jan Garbarek, The moon over Mtatsminda ;
Ray Noble et Al Bowlly, Midnight with the stars and you.
18:35 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (5)
jeudi, 05 novembre 2009
Hôpital et cendre
M. est le parangon de "l'heureux retraité" — expression qui tient pour moi de l'oxymore. Excellent bricoleur et voisin dévoué, il se fâcherait si l'on ne faisait appel à lui lorsque l'on a quelque problème domestique touchant à l'eau, à l'électricité ou au chauffage. Comme il m'a rendu service et m'a apporté quelques beaux légumes de son jardin, je lui offre, sachant qu'il aime le whisky, une bouteille de "Caol Ila". Quelque temps plus tard, il m'avoue sans vergogne qu'il lui trouve "un goût de médicament". La prochaine fois — s'il y a une prochaine fois —, pensé-je, il aura droit à un Jeannot Marcheur étiquette rouge.
Dans Le Sauveur, de Jo Nesbø, un personnage un peu moins sympathique que mon retraité — et qui manie plus volontiers le Llam MiniMax 9mm que la clef de 12 — boit un whisky des Orcades qui a "le goût d'hôpital et de cendre". Il me semble que c'est Léon Daudet qui parlait d'un "goût de cheminée de paquebot" — ou quelque chose de ce genre. Pierre Desproges, pour sa part, définissait un peu plus sommairement le whisky comme "le cognac du con"... Question de culture.
17:36 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (11)
"Au lendemain de la Toussaincts..."
Toussaint : visites aux vivants et aux morts, kilomètres moroses dans le brouillard et sous la pluie. Le Nord ressemble au Nord, la Lorraine enrhumée s'emmitoufle dans sa houppelande de forêts roussies. Longtemps après avoir quitté, entre Morvan et Charolais, le petit cimetière où elle repose, je repense au sourire de ma mère, rapportant gaiement le mot de cette petite camarade d'école qui avait déclaré dans une rédaction ne pas aimer les cimetières, "parce qu'on y avait froid aux pieds"... Elle apprendrait sans doute plus tard qu'on pouvait aussi y avoir froid au cœur.
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dimanche, 25 octobre 2009
Contre les dégoûts de la vie
Si Bartleby et compagnie d'Enrique Vila-Matas n'est pas de ces "livres qui nous apprennent à danser" — il y a un peu trop de mélancolie là-dedans —, ce n'en est pas moins un petit livre comme on aimerait en avoir plus souvent, ironique et intelligent, suite de "notes de bas de page destinées à commenter un texte invisible" — ce qui, soit dit en passant, pourrait être une assez bonne définition de nos blogs. Étonnante galerie d'auteurs ratés, stériles, suicidés de la littérature ou ayant délibérément pris le parti du silence... Cela se lit en peu de temps, et c'est excellent.
J'aime ce passage où le narrateur rapporte ce propos de Julien Gracq : "La nuit tombant, l'heure approchant de prendre congé de Gracq, celui-ci nous a parlé de la télévision. Il nous a dit qu'il lui arrivait de l'allumer et qu'il n'en revenait pas de voir les présentateurs des émissions littéraires se comporter comme des marchands de tissu avec leurs échantillons." C'est un peu moins brutal que ce que disait Raymond Cousse de Bernard Pivot, mais c'est le même constat atterré de la vulgarité et du mercantilisme qui achève de gangrener ce qui nous tient lieu de culture...
20:03 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (8)