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samedi, 31 décembre 2005

Vigile morose

LA SOIRÉE DE DÉCEMBRE

Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir
Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté ?
Oh ! je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre
Ce minutieux mouvement d'herbe de mes mains
Cherchant vos mains parmi l'opaque sous l'eau plate
D'une journée, le long des rives du destin !
Qu'ai-je fait pour vous retenir quand vous étiez
Dans les mornes eaux de ma tristesse, ensablés
Dans ce bief de douceur où rien ne compte plus
Que quelques gouttes d'une pluie très pure comme les larmes?
Pardonnez-moi de vous aimer à travers moi
De vous perdre sans cesse dans la foule
Ô crieurs de journaux intimes seuls prophètes
Seuls amis en ce monde et ailleurs !

(René-Guy Cadou, Les Biens de ce monde, 1951)

En dépit de la promesse d'aimables agapes, ce dernier jour de l'année, d'une douceur perfide, est, comme toujours, vaguement déprimant. Les huîtres, elles, n'ont pas d'états d'âme et vivent leurs derniers instants dans l'ignorance de leur fin prochaine... Heureuses huîtres !

Clown triste

Nous aurons ce soir une pensée pour Giani Esposito, mort un premier janvier, il y a un peu plus de trente ans. L'ironique morosité de son évocation de la Saint-Sylvestre avait-elle quelque chose de prémonitoire ?
[...]
Mon smoking tout crotté, je reprends ma course,
fuyant la Madeleine et puis la Bourse.
je pense à saint François face aux notables :
"l'argent, messieurs, c'est le crottin du diable."

Ah ! Ah ! Mon dernier rire de l'année.
Minuit: mon premier rire de l'année.
Je pars chercher les autres clowns en ville,
mon cocktail smerdiakoff et ma sébile...

(Paris le désert)

vendredi, 30 décembre 2005

Une odeur de brûlé

À l'intention des esprits chagrins qui seraient choqués que l'on pût sauter d'un instantané scatologique à la musique des anges, rappelons que les lettres de Mozart révèlent des préoccupations stercoraires quasi obsessionnelles. On en trouvera quelques exemples dans le dossier "spécial Mozart" (eh ! oui, encore !) du Nouvel observateur (du 22 décembre 2005 au 4 janvier 2006, p. 78-79). Ceci, par exemple : "Au moment où je me lève, j'entends quelque chose de très faible — mais je sens aussi comme une odeur de brûlé : où que j'aille, ça pue [...] Finalement maman me dit : je parie que tu en as lâché un. Je ne crois pas, maman. Si, si, c'est sûr ! Pour preuve, je me mets l'index dans le cul, puis le porte à mon nez et — Ecce provatum est, maman avait raison." (Lettre à sa cousine, 1777)

La musique des anges

Dans L'Express "spécial Mozart" (du 22 décembre 2004 au 5 janvier 2006), ces propos de Michel Tournier : "Mozart est-il le plus grand compositeur de tous les temps ? La formule paraît excessive [...] La grandeur en musique, c'est Jean-Sébastien Bach qui l'incarne. Cioran disait que sa musique était la seule preuve sérieuse que nous ayons de l'existence de Dieu. Et il y a cette histoire : quand les anges musiciens jouent pour Dieu, ils jouent du Jean-Sébastien Bach. Mais quand ils se retrouvent entre eux, ils se jouent du Mozart. Et Dieu vient écouter à la porte."
Jolie parabole, mais la question "Qui est le plus grand ?" est-elle bien pertinente ? Cette manie des classements, des hiérarchisations et des records confine à la stupidité. J'ignore si Mozart est "le plus grand compositeur" ou "le génie par excellence", et d'ailleurs je m'en moque. Mais, comme quelque 60.000 mozartiens avertis ou parfaitement dilettantes avant moi, je viens de faire l'acquisition de l'intégrale distribuée par Abeille Musique, et je prends à l'écouter "un plaisir extrême"...

jeudi, 29 décembre 2005

Petite anthologie portative 18

Chat perdu
Chiant
Dans le jardin. C'est l'hiver.

(Shiki, in Maurice Coyaud, Fourmis sans ombre, Phébus, 1978)

mercredi, 28 décembre 2005

"La grande roseraie blanche de toutes neiges à la ronde..."

Mise en place du plan grand froid pour les oiseaux. Il faut regarnir les mangeoires de tournesol, accrocher de nouvelles boules de graisse, répandre des miettes sur le balcon, verser de l'eau tiède dans les abreuvoirs gelés... Les clients sont encore plus nombreux qu'à l'habitude : mésanges charbonnières, mésanges bleues, nonnettes, mésanges huppées ou à tête noire ; le rouge-gorge solitaire, les bandes de moineaux effrontés ; les sitelles et le pic épeiche, pinsons et chardonnerets, merles et même, redoutables écornifleurs, quelques étourneaux sansonnets.
Tout cela virevolte, va, vient en un ballet continuel, régi par de complexes préséances, des manœuvres d'intimidation, des astuces de pique-assiettes — tout cela babille, zinzinule, fringote...Tant de tapage et d'agitation fébrile ne sont pas sans évoquer le manège du genre humain !

mardi, 27 décembre 2005

Météo 11

C'est l'hiver et — qui l'eût cru ? il fait froid. On annonce même des chutes de neige de l'ordre de 10 cm dans l'Ouest de la France ! Il n'est question que de cartes de vigilance et de "plan grand froid". L'homme moderne est singulièrement désemparé devant les météores. Nos aïeux, qui ont dû connaître des hivers autrement plus rigoureux, étaient-ils aussi frileux ? Il leur en fallait plus, semble-t-il pour qu'ils perdissent le nord et oubliassent de sauver le pot au vin :
"... le Capitaine Martin du Bellay recite, au voyage de Luxembourg, avoir veu les gelees si aspres, que le vin de la munition se coupoit à coups de hache et de coignee, se debitoit aux soldats par poix, et qu'ils l'emportoient dans des panniers." C'est du moins ce que rapporte Montaigne (Essais, I, 35, "De l'usage de se vestir"). Jean Follain évoque également cette "glace rouge", qu'en l'an 1812, en Russie, "la hache du sapeur / dut [...] partager / entre tous même moribonds" ("Glace rouge", in Territoires, Gallimard, 1953).
Passant ce matin près de Riom, noire sous ses toits poudrés de blanc, je songeais à Larbaud, qui, pour donner une idée de la tristesse de la ville natale de Leopardi ("abborrito e inabitabile Recanati"), la comparait à "Riom en hiver"... Le froid n'était tout de même pas tel, aujourd'hui, que les vignerons de Saint-Bonnet dussent débiter le madargue ("le vin noir de la Limagne" dont parle Huysmans) à la cognée.

lundi, 26 décembre 2005

"L'hippopotame Claudel"

Le hasard des lectures me ramène à Claudel, "l'hippopotame Claudel", selon le mot de Calaferte, qui ne l'aime guère :
"Bourré de fric, vivant comme le pire des bourgeois, servi par des domestiques, Claudel ose écrire ."À la gloire de la Pauvreté, jamais de temple assez magnifique !" (2 octobre 1946) La putinerie catholique est sans bornes. Ce sont des crapules de son espèce qui ont éloigné les pensées de la foi. Pareil zigoto n'est ni plus ni moins qu'un manœuvre de Satan." (Droit de cité, p. 119)
Dans les Œuvres d'Antonin Artaud ("Quarto"), cette note édifiante d'Évelyne Grossman, glosant un projet de lettre d'Artaud à Paul Claudel, daté de novembre 1947 : "Jean Denoël avait informé Antonin Artaud que Claudel, ayant lu son "Histoire entre la groume et dieu", parue plusieurs mois auparavant dans la revue Fontaine dirigée par Max-Pol Fouchet, avait écrit à celui-ci qu'il cesserait dorénavant toute collaboration avec une revue qui publiait les "élucubrations d'un aliéné"." Commentaire d'Artaud : "... l'auteur de Partage de Midi, livre volé à tous les vieux livres de littérature chinoise, est mal venu de traiter d'aliéné le supplicié authentique du Golgotha à qui les hommes de ce temps n'ont rien trouvé de mieux que d'imposer le supplice moderne des foudroiements répétés et traumatiques de l'électro-choc." (p. 1633) Peu auparavant, Artaud écrivait à Jacques Lemarchand : "Vous n'êtes qu'un imbécile mais il y a un imbécile de théâtre pire que vous, il s'appelle Paul Claudel et j'ai aussi quelque chose de nouveau à lui dire." (Ibid., p. 1632)
On est donc un peu surpris d'apprendre que "Claudel avait [de la société] une vision à la Artaud". C'est du moins ce qu'affirme François Angelier dans Claudel ou la conversion sauvage (éd. Salvator, 1998), un essai, ou plutôt une apologie dans laquelle l'auteur prétend "[reprendre], pour leur faire un sort, pous les reproches sempiternellement faits au châtelain de Brangues". On s'efforce ainsi de nous persuader, à coups de sophismes grossièrement ficelés, que "l'hippopotame" était, sinon un "suicidé de la société", du moins "un interné volontaire [...] interné dans la bourgeoisie pour se garder de soi, s'abriter de soi" ! Riche malgré lui, pétainiste éphémère, lui aussi aura porté sa croix... Franchement, on a un peu de mal à se laisser convaincre.
Reste l'écrivain, le styliste. Mais que faut-il penser quand Claudel déclare : "Je n'attache absolument aucun prix à la valeur littéraire de mon œuvre." (Propos — à A. Gide)... Faut-il comprendre qu'il juge négligeable ce qui pourrait, à nos yeux, le sauver ?
Notre ami G.B. nous montra, il y a quelques années, qu'il souscrivait sans réserve à ce jugement de l'auteur sur son œuvre, en déchirant, sous les regards médusés de quelques "bien yvres", un précieux opuscule à tirage limité dudit "Cloclo". Nous n'insinuerons pas que le chardonnay bien frais et la chaleur de l'été bourguignon avaient exacerbé, ce jour-là, la claudélophobie viscérale et militante de notre anar chenu, d'ailleurs aimable poète — mais plutôt du genre chien à la mandoline...

dimanche, 25 décembre 2005

Tant crie l'on Noel... 2

Voilà. Noël, c'est fini pour cette année. Ce ne sont que bouteilles vides et papiers froissés...
Whisky du soir mélancolique en écoutant Joe Zawinul — Faces and places — et en feuilletant un recueil de dodoitsu trouvé dans mes pantoufles.

"Mieux que le va-et-vient
Gémissant de la houle
La silencieuse fidélité
Des étoiles"

(Le Saké, la lune et l'amour, La Part commune, 2005)

vendredi, 23 décembre 2005

Le grand style 10

Calaferte, encore :

"Atterrantes conneries verbales qu'a pu déchaîner chez des personnes apparemment censées cette boucherie dégueulasse que fut la guerre de 1914. (Soldat écrivant à sa fiancée qu'il attend fébrilement l'instant où sera commandé d'attaquer à la baïonnette, pour la France et pour ses mamans ! Que souhaiter à des pareils corniflots, sinon d'en ramasser un bon coup dans le bide.)
Quand on pense que parmi ces excités, il y avait un Péguy — l'esprit dérape."

(Droit de cité, p. 118-119)