lundi, 26 décembre 2005
"L'hippopotame Claudel"
Le hasard des lectures me ramène à Claudel, "l'hippopotame Claudel", selon le mot de Calaferte, qui ne l'aime guère :
"Bourré de fric, vivant comme le pire des bourgeois, servi par des domestiques, Claudel ose écrire ."À la gloire de la Pauvreté, jamais de temple assez magnifique !" (2 octobre 1946) La putinerie catholique est sans bornes. Ce sont des crapules de son espèce qui ont éloigné les pensées de la foi. Pareil zigoto n'est ni plus ni moins qu'un manœuvre de Satan." (Droit de cité, p. 119)
Dans les Œuvres d'Antonin Artaud ("Quarto"), cette note édifiante d'Évelyne Grossman, glosant un projet de lettre d'Artaud à Paul Claudel, daté de novembre 1947 : "Jean Denoël avait informé Antonin Artaud que Claudel, ayant lu son "Histoire entre la groume et dieu", parue plusieurs mois auparavant dans la revue Fontaine dirigée par Max-Pol Fouchet, avait écrit à celui-ci qu'il cesserait dorénavant toute collaboration avec une revue qui publiait les "élucubrations d'un aliéné"." Commentaire d'Artaud : "... l'auteur de Partage de Midi, livre volé à tous les vieux livres de littérature chinoise, est mal venu de traiter d'aliéné le supplicié authentique du Golgotha à qui les hommes de ce temps n'ont rien trouvé de mieux que d'imposer le supplice moderne des foudroiements répétés et traumatiques de l'électro-choc." (p. 1633) Peu auparavant, Artaud écrivait à Jacques Lemarchand : "Vous n'êtes qu'un imbécile mais il y a un imbécile de théâtre pire que vous, il s'appelle Paul Claudel et j'ai aussi quelque chose de nouveau à lui dire." (Ibid., p. 1632)
On est donc un peu surpris d'apprendre que "Claudel avait [de la société] une vision à la Artaud". C'est du moins ce qu'affirme François Angelier dans Claudel ou la conversion sauvage (éd. Salvator, 1998), un essai, ou plutôt une apologie dans laquelle l'auteur prétend "[reprendre], pour leur faire un sort, pous les reproches sempiternellement faits au châtelain de Brangues". On s'efforce ainsi de nous persuader, à coups de sophismes grossièrement ficelés, que "l'hippopotame" était, sinon un "suicidé de la société", du moins "un interné volontaire [...] interné dans la bourgeoisie pour se garder de soi, s'abriter de soi" ! Riche malgré lui, pétainiste éphémère, lui aussi aura porté sa croix... Franchement, on a un peu de mal à se laisser convaincre.
Reste l'écrivain, le styliste. Mais que faut-il penser quand Claudel déclare : "Je n'attache absolument aucun prix à la valeur littéraire de mon œuvre." (Propos — à A. Gide)... Faut-il comprendre qu'il juge négligeable ce qui pourrait, à nos yeux, le sauver ?
Notre ami G.B. nous montra, il y a quelques années, qu'il souscrivait sans réserve à ce jugement de l'auteur sur son œuvre, en déchirant, sous les regards médusés de quelques "bien yvres", un précieux opuscule à tirage limité dudit "Cloclo". Nous n'insinuerons pas que le chardonnay bien frais et la chaleur de l'été bourguignon avaient exacerbé, ce jour-là, la claudélophobie viscérale et militante de notre anar chenu, d'ailleurs aimable poète — mais plutôt du genre chien à la mandoline...
18:34 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (7)
Commentaires
(L'hippopotame Claudel gobe le moucheron Artaud.)
On peut faire ce reproche à (presque) tous les écrivains catholiques d'être un peu trop riches, à commencer par Mauriac, qui de surcroît est de gauche (pas seulement les écrivains). Mais les rois mages n'ont-ils pas accès à la crèche ?
Écrit par : Lapinos | lundi, 26 décembre 2005
Seulement s'ils s'y rendent vraiment.
Dans le cas de Claudel, hippo, chameau ou mirifique hystrion verbeux, on peut en douter...
Écrit par : Gaspar | lundi, 26 décembre 2005
Claudel avait de l'humour, lire 'Mort de Judas' et 'Le Point de vue de Ponce-Pilate'. Il avait aussi le sens de l'insulte, quoiqu'à un moindre degré que Bloy. Je crois que c'est lui qui a traité Bernanos de "raté". A vrai dire, il était obsédé par la réussite dans la vie. Il ne pouvait pas aimer Artaud.
Écrit par : Sébastien | lundi, 26 décembre 2005
Je crois que c'est moins sa richesse que l'on reproche à Claudel, que ses accommodements avec le Ciel — ou avec la parole de l'Évangile. L'hippopotame devait penser qu'il lui était plus facile qu'à un chameau de passer par le trou d'une aiguille...
Pour ce qui est des "Rois" mages, l'argument est judicieux et la formule élégante, mais cette "royauté"-là semble bien procéder d'une interprétation discutable, même si le terme de "mage" est, selon Trévoux, utilisé par les Orientaux pour désigner "leurs sages, leurs philosophes" et éventuellement "leurs rois"...
Quoi qu'il en soit, et comme chacun sait, "il ne faut pas se moquer des riches : on ne sait pas ce qu'on peut devenir " !
Écrit par : C.C. | lundi, 26 décembre 2005
Artaud, c'est tout de même pas de la soupe. Anagrammatiquement, c'est DU RATA !
Écrit par : Blind Horse | lundi, 26 décembre 2005
Raison pour laquelle je ne joue jamais au loto.
Avec ma chance, je risquerais de gagner!
Écrit par : Gaspar | lundi, 26 décembre 2005
Claudel, pécheur ? Sans doute, car selon la formule de Waugh : « L’attitude protestante, ça semble souvent : Je suis bon, donc je vais à l’église" ; tandis que l’attitude catholique, c’est : "Je suis très loin d’être bon, donc je vais à l’église. »
Écrit par : Lapinos | lundi, 26 décembre 2005
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