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mercredi, 16 août 2006

Sardine

Murakami : difficile à caser dans les catégories du merveilleux, du fantastique ou de l'étrange, telles du moins que définies par Todorov. Bizarre, loufoque ? On est toujours entre amusement et malaise, dans un "monde possible" trivial et délirant, finalement très carrollien dans son absurdité logique.

Il y a aussi beaucoup de chats, chez Murakami.
Me plaît particulièrement celui de La Course au mouton sauvage, matou pétomane et édenté, dont le baptême s'accompagne d'un dialogue que n'eût pas désavoué le père d'Alice :

"Minou minou minou, dit le chauffeur au chat, en se gardant bien d’y porter la main. Comment s’appelle-­t-il ?
— Il n’a pas de nom.
— Comment faites-vous alors pour l’appeler ?
— On ne l’appelle pas, dis-je. il est là, c’est tout.
— Mais il ne reste pas tout le temps immobile. Il bouge, sous l’effet d’une volonté. Ça ne vous semble pas bizarre qu’un être qui agit de par sa volonté n’ait pas de nom ?
— Les sardines aussi bougent selon leur volonté, et pourtant on ne leur donne pas de nom.
— Oui, mais il n’y a aucun échange affectif entre une sardine et un être humain. D’ailleurs, une sardine ne comprendrait pas son nom. Cela dit, rien ne vous empê­cherait de lui en donner un.
— Si je vous comprends bien, pour qu’un animal puisse prétendre à un nom il faudrait qu’il se meuve de sa propre volonté, qu’il soit capable d’échanges affectifs avec les humains et, qui plus est, qu’il soit doté du sens de l’ouïe. N’est-ce pas ?
— C’est cela, oui, dit le chauffeur qui opina à plu­sieurs reprises, l’air convaincu. Dites, ça vous déran­gerait si je lui donnais un nom ?
— Absolument pas. Comment l’appelleriez-vous ?
— Que diriez-vous de "Sardine" ? Puisqu’au fond vous l’avez traité comme une sardine jusqu’à présent.
— C’est pas mal, dis-je.
— N’est-ce pas ? fit-il fièrement.
— Qu’en dis-tu ? demandai-je à ma girl friend.
— Pas mal du tout, dit-elle. On croirait assister à la Création du monde.
— Et la Sardine fut ! dis-je.
— Viens, Sardine, dit le chauffeur en prenant le chat dans ses bras.
Pris de frayeur, le chat lui mordit le pouce, puis il péta."

(La Course au mouton sauvage, Points-Seuil, 2006, p. 185-186)

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