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mardi, 08 novembre 2005

Trous et portes 2

Les photographies de Proteor : corps et cadavres mutilés, plaies, cicatrices, orifices, phanères, immondices et gadoues, monceaux d'ordures... Étrange proximité avec certains textes de Ceronetti :
"Une femme est trouvée endormie, toute recroquevil­lée, un lundi matin, dans un dépôt d’ordures public. Elle a perdu la mémoire ; elle se rappelle seulement les déchets, avec lesquels elle a cohabité, familièrement, depuis le samedi soir, elle se souvient d’eux avec ten­dresse, les énumérant et les décrivant : une petite seringue en matière plastique très sympathique, deux ou trois tampons hygiéniques très imprégnés, des épluchures de pommes de terre aussi légères que des ballons rouges, les photos d’un enfant d’il y a cinquante ans, d’autres photos d’un homme de soixante ans environ, l’une d’un homme d’une trentaine d’années qui sourit, avec sa femme, devant la tour de Pise, des chaussettes grises percées, des aiguilles, un soutien-gorge, les mor­ceaux d’un verre, des mouches mortes, une paire de gants très fins et encore bons, des pâtes mal cuites, des os de poulet, un petit sac de vomissure, une glace à la framboise liquéfiée, un crachat grumeleux, un journal illustré, une quantité de coupures de journaux pornogra­phiques très osées, un tube de dentifrice contenant encore de la pâte, du coton et de la gaze avec du sang séché, une paire de ciseaux, une lime à ongles, un pantin mécanique dont le ressort est sorti du ventre, une feuille de papier lignée portant un devoir scolaire, des feuilles de salade assaisonnées avec trop de vinaigre, une bou­teille de vinaigre vide, quelques coquillages, une boîte d’allumettes vide, trente-sept mégots de cigarettes, une dent de lait, un crayon-feutre, une ampoule grillée, un dessin pas réussi, des restes de poisson, un clou tordu, un petit mot affectueux, un petit anneau en simili-or, un flacon de reconstituant plein, deux préservatifs qui ont servi et un propre, une éclaboussure de crème de lait, de nombreux boutons et petits morceaux d’étoffe de cou­leur, quatre trognons de pomme, un feuillet écrit à la machine, une carte d’identité, une petite cuillère, une pièce de cent lires. Elle se sent leur maman, elle est attristée parce qu’on les appelle des ordures : Je veux retourner avec eux, ma vie est là."
(Guido Ceronetti, Le Silence du corps, Poche, 1988)

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