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dimanche, 21 octobre 2018

"L'Automne, turbulente et rousse..."

Je retrouve enfin cette automne féminine, qu'on imagine échappée, toute voiles et cheveux au vent, d'une toile de Mucha — cette "bacchante aux mains glacées", longtemps pourchassée dans les recoins d'une mémoire oublieuse. Je savais l'avoir rencontrée, il y a bien longtemps, chez Anna de Noailles, mais elle restait inexplicablement absente de tous les recueils dans lesquels je m'obstinais à la traquer.
La voici donc retrouvée dans les pages grises d'un vieux numéro de la Revue belge, daté d'octobre 1928, aux dernières lignes d'un article intitulé "Saâdi et le Jardin des Roses". Elle n'a rien perdu de son charme :

"J'écris ces lignes tandis que l'Automne, turbulente et rousse — bacchante aux mains glacées — détruit le feuillage et les fleurs dans le jardin de mon enfance. Au bord d'un lac azuré que le tiède septembre engourdit, un vent tumultueux entraîne, parmi les parfums du jardin, le bruit et l'odeur d'un train qui passe. Je vois se débattre sous la bise un saule éploré, pareil à un léger nuage enchaîné à la prairie. Dans une étroite vasque de pierre, le jet d'eau pleure et se désole, comme une naïade au col recourbé dont on a détourné les eaux courantes.
Une grande déroute inquiète le jardin. Le vent, chargé d'amers parfums, s'empresse comme un messager qui organise un secret départ. Les sombres grives circulent d'un vol lourd, et font entendre leurs cris anxieux. Le vent souffle. Il semble que ce soit, dans le cristal bleu de l'air le grand coup d'aile de l'été qui s'éloigne...
Hélas! le voilà qui nous abandonne! Le silence s'étend où fut la vie. Le dahlia, chargé de colliers de rosée, la framboise qu'englobe un des pleurs du matin, surmontent de leur frais sursaut la corruption du verger.
Le vent parcourt un épais sapin, robuste et voilé ; ses entrées, ses sorties font un ouragan mélodieux et grave, qui détache de l'arbre des fruits allongés, semblables à d'écailleuses bananes. Glissant sur les rais du pâlissant soleil, les insectes dorés établissent encore leurs alertes communications, et tissent autour du monde vaincu un vaste réseau d'humble amour.
Je vois un écureuil roux se couler entre les branches basses des cèdres, comme une torche onduleuse, faite de feu et de fourrure. La tristesse que donne un livre comme le Jardin-des-Roses, je la ressens plus fortement pendant ce brisement du temps, à cette époque de l'agonie de la Nature.
Certes, ils embaument à jamais l'imagination, les blancs œillets de Perse, fleurissant dans dès pots bleuâtres striés de noirs dessins, sur un petit balcon d'une maison d'Ispahan ! Mais c'est en vous que je trouve mon refuge et ma consolation, Automne active et farouche, qui ressemblez au milieu de la vie. Car, de tous ces saccages, de toutes ces brindilles que le vent casse, de toutes ces feuilles mortes, de ces fruits abattus — Ô fière Automne — vous semblez faire, sous le ciel émondé, un lyrique bûcher, sur lequel vous vous élancez — déçue, passionnée, orgueilleuse et brave — pour jeter jusqu'aux nues tout ce qui fait le prix de là vie..."

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