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vendredi, 02 janvier 2015

Crachats 3

Cette année, à propos des 691 nouveaux médaillés ou promus dans l'ordre de la Légion d'Honneur — et du refus de Thomas Piketty — le Figaro rapporte la réponse "cinglante" de Marcel Aymé au ministère de l'Éducation nationale qui, en 1949, lui "proposait l'insigne" : "Pour ne plus me trouver dans le cas d'avoir à refuser d'aussi désirables faveurs, ce qui me cause nécessairement une grande peine, je les prierais qu'ils voulussent bien, leur Légion d'honneur, se la carrer dans le train, comme aussi leurs plaisirs élyséens."
En ces temps de grande servilité, où l'on "s'excuse" et demande pardon pour le plus petit écart, ce n'est pas sans nostalgie qu'on songe à cette époque où les auteurs avaient de la voix.

Manger de l'animau — et autres plaisirs de saison

Loup.jpgOn a beau être grincheux, on se laisse toujours fléchir par quelques vieux amis. On ne peut pas refuser : quelqu'un a réservé une table dans une auberge de campagne, avec la promesse qu'il n'y aura ni cotillons, ni musique à plein volume dès le premier service, qu'on mangera de bonnes choses, qu'on boira avec modération, qu'on regagnera ses pénates à une heure raisonnable...
Et on se retrouve à réveillonner dans une gargote glaciale, à peu près sinistre, où l'on nous gave de boustifaille mal cuite arrosée de vin ginguet d'origine incertaine, tandis que passent en boucle de pénibles rengaines de Luis Mariano. On nous distribue avant le dessert des loups de carton et des chapeaux pointus. Verts. Le patron et la patronne — une naine adipeuse et tatouée —, affables, vibrionnent autour de la table, s'inquiètent : ne va-t-on pas danser ? Allons ! il faut s'amuser, la maison offre le champagne.
On n'a qu'une hâte : que cela finisse, qu'on règle l'addition — évidemment exorbitante — et qu'on rentre chez soi. On le savait : il ne fallait pas y aller.
Il y a tout de même, en ces journées d'hiver, d'autres plaisirs moins faisandés : feuilleter les livres qu'on a reçus en cadeau à Noël — un bel ouvrage sur la sculpture romane, les deux volumes de romans de Montherlant, qu'on ne lit plus guère aujourd’hui in extenso, mais qu'on parcourt avec bonheur à la billebaude, dénichant au hasard des pages quelques belles sentences aphoristiques. Alice se demandait quel intérêt pouvait bien présenter un livre sans images ni dialogues. On peut se poser la même question à propos de ceux où l'on ne relève aucune formule digne d'être inscrite "avec l'aiguille sur le coin intérieur de l'œil". Ces apophtegmes prosaïques — presque nécessairement ironiques, dans la mesure où ils sont, comme les proverbes, "selles à tous chevaux" — ne sont pas rares dans les bons "polars". Comme les incidentes culinaires, musicales ou littéraires, discrets schibboleths, ils sont autant de clins d’œil au "suffisant lecteur", qui tient en général l'intrigue pour un simple prétexte et se délecte des brodures, des appoggiatures ou des digressions, voire des pseudo-citations. Art subtil de la seconde main, comme chez Jerry Stahl citant prétendument Charles Mingus d'après une page Internet : "L'homme blanc ? Ça existe pas, l'homme blanc. Rose, il est." Je n'ai pas retrouvé la source de cette indiscutable assertion. L'imposture vénielle, parfois, fait aussi partie du jeu.