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vendredi, 10 octobre 2014

Le dur désir de durer

André Blanchard est mort il y a quelques jours déjà. Il ne semble pas que sa disparition ait fait grand bruit.
Il écrivait dans ses Carnets, en avril 1987 : "Y a-t-il quelque consolation pour un écrivain, à l'heure où les sueurs de la mort couvrent son corps de fièvre glacée, de pouvoir se dire que de par le monde quelqu'un l'arrache à ce néant, lui accorde la survie grâce à la lecture de quelques-unes de ses pages ?"
On peut raisonnablement penser que Blanchard — qui assumait crânement son insuccès, son impécuniosité et ses petits déboires quotidiens en affichant une philosophie à la Chamfort — éprouvait tout de même quelque réconfort à la pensée qu'il était du nombre de ces auteurs pour happy few qui, faute d'avoir des lecteurs nombreux, ne manquent pas d'amis inconnus.
Et, probablement, n'étant pas accablé de critiques louangeuses, n'était-il pas resté insensible à tel petit billet du Canard enchaîné signalant comme un régal pour délicats la publication du dernier volume des Carnets, intitulé — ironie résignée sinon politesse du désespoir — À la demande générale (Le Dilettante, 2013).
"Mourir, c'est guérir", peut-on y lire.
Ce n'est pas une raison pour l'oublier durant la longue convalescence qu'il entame.

Le sens de la formule 13

Sur France Culture, ce matin. Un journaliste littéraire jabote à propos de Modiano, fraîchement nobélisé. Cette reconnaissance n'est évidemment pas pour surprendre ledit folliculaire, qui savait bien déjà, lui, qu'il s'agit du "plus grand écrivain français vivant". Il évoque son "style blanc" ("On ne sait pas ce que c'est", aurait dit Flaubert) et, savoureux oxymore, "une abondance de mots qui n'est pas considérable". Et de conclure — l'argument n'est pas négligeable par les temps qui courent — que c'est, en outre, "quelqu'un dont les livres se vendent admirablement". Tout est dit.

Incipit 10

"Un jour d'hiver, comme la tempête faisait rage dans les rues de Toronto, Lilah Kemp, sans le vouloir, laissa Kurtz s'échapper de la page 181 d'Au cœur des ténèbres ." (Timothy Findley, Le Chasseur de têtes, Folio, 2001)

"Si je meurs..." (Audiberti, "Si je meurs", Race des hommes, Poésie/Gallimard, 1968)

"Si je meurs" — curieuse formule, on en conviendra ! —, si je meurs, donc, me sera peut-être accordé de connaître, moi, "chien de lisard", récompense ou punition pour mon "vice impuni", le "statut ontologique du personnage" ; de me glisser, pour l'éternité qu'on voudra bien m’accorder, entre les pages d'un livre, parmi d'autres figurants anonymes ; d'y assumer un petit rôle, laissé en blanc dans la distribution des répliques. Un des bien-ivres de Rabelais, un des innombrables convives fantoches du Moyen de parvenir, un des "assassins" du "Roman d'un déserteur" ... Les "créatures" d'encre et de papier, les "vivants sans entrailles" rêvent, dans le rêve du lecteur, de s'évader — en se cachant, possiblement, comme chez Krzyzanowski, dans la doublure de son chapeau ; le lecteur rêve, dans son rêve, de prendre leur place.

"Mon épouse, ô ma novembre,
sous terre les jours sont lents."
Ils le sont aussi, sans doute, dans les livres que nous avons aimés.
Délicieusement.