vendredi, 23 mai 2014
Petites perambulations hexagonales 3
Mardi — Sologne et Beauce sous la pluie. Traversée d'Orléans éprouvante. Théories de poids lourds sur les départementales d'Eure-et-Loir, gerbes d'eau, ciel bas... On roule. Quoi d'autre ?
Le Tréport. Le vent et la grisaille, comme à Ault ou Mers-les-Bains, ajoutent au charme nostalgique du lieu. Je songe à des cartes postales anciennes, une photo glacée, en noir et blanc, souvenirs très chers d'êtres aimés qui furent ici, un jour, peu après une guerre ou juste avant une autre...
Hôtel de Calais. Vue sur le port, "oiseaux clabaudeurs" ; rares touristes se hâtant sur le quai à l'heure du crépuscule. Restaurant "Le Homard Bleu". Carrelet rôti au four et quincy, pain perdu aux pommes caramélisées, petit calvados offert par la maison. Quelques dîneurs discrets, conversant à petit bruit.
Mercredi — Lille. Plaisir de feuilleter, au "Furet du Nord", les nouveautés, de céder comme toujours à la tentation, de découvrir un auteur qu'on se sent impardonnable d'avoir pu jusqu'alors ignorer. Ce sera, cette fois, Marcel Cohen, dont me séduisent d'emblée les proses minuscules. Art de l'ellipse, du presque rien, du laconisme ironique :
"Un poète va de librairie en librairie et, tirant son dernier livre des rayons, en même temps qu'il ouvre son stylo, profite de la distraction des vendeurs pour remanier un vers qu'il juge défectueux. Retrouvant le flot des passants, il est saisi d'un imperceptible vertige : — Si le monde n'est pas dans les mots, comment peut-il être plus léger débarrassé d'une scorie ?" (Le Grand paon-de-nuit, suivi de Murs, suivi de Métro, Gallimard, 2014)
Wazemmes. Deux clochards éventrent, en plein après-midi, les sacs poubelles entassés sur les trottoirs du boulevard, en quête de quelque butin dérisoire. Un couple de jeunes chats se livre — semble-t-il — à des jeux amoureux au débouché d'une courée. Tard dans la nuit, "ça gueule encore dans la rue noire".
Jeudi — Retour vers nos pénates par le Cambrésis, la Brie champenoise, la Bourgogne. Visite de la cathédrale de Sens. Mausolée des frères Davy du Perron. Jacques, cardinal et archevêque de Sens après avoir été huguenot, théologien redoutable, érudit et poète raffiné, familier d'Henri IV, ne craignait point — si l'on en croit ses biographes — de péter bruyamment en jouant aux échecs avec le roi. (voir Burigny, Vie du cardinal Du Perron, archevêque de Sens et Grand Aumônier de France, 1768). On peut évidemment préférer la musique de ses vers maniéristes :
Dame dont les beautés me possèdent si fort,
Qu’étant absent de vous je n’aime que la mort,
Les eaux en votre absence, et les bois me consolent.
Je vois dedans les eaux, j’entends dedans les bois,
L’image de mon teint, et celle de ma voix,
Toutes peintes de morts qui nagent, et qui volent.
Dernière halte en Puisaye. Saint-Fargeau, Saint-Amand, Saint-Vérain. Pays de Colette et terre de potiers. Nous achetons deux ou trois bols et tasses au "Petit Montparnasse", à Saint-Amand. Le maître des lieux aime à causer. Il nous entretient des caprices de la météo, de la malfaisance des renards ou de la singularité des mœurs morvandelles. Placide et rougeaud, il modèle, tout en parlant, de petits sujets, une bouteille de sauvignon à portée de main.
L'argile d'ici doit être "salée comme tous les diables"...
23:02 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Je me permets de vous recommander "Remonter la Marne"
de Jean-Paul Kaufmann. Vous devriez aimer.
Écrit par : Serge | mardi, 27 mai 2014
@ Serge : Merci pour le conseil de lecture. De Kaufmann, je me rappelle un article — paru, peut-être, dans "Le Monde" — dans lequel il était question du château Chasse-Spleen, dont le nom, évocateur de fêtes galantes d'un autre temps, suffisait à lui apporter un peu de réconfort aux jours sombres de sa détention... C'est tout ce que j'ai dû lire de lui.
Écrit par : C.C. | mercredi, 28 mai 2014
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