mardi, 03 décembre 2013
Jude l'Obscur
La quatrième de couverture était louangeuse. Naturellement. C'est le propre d'une quatrième de couverture que de vanter la marchandise, et celui des imbéciles — du nombre desquels je suis, à l'évidence — de s'y laisser prendre. J'ai donc acheté les Chroniques catoniques, de Jude Stefan (La Table ronde, "La Petite Vermillon", 1996) et j'en suis bien déçu, n'y trouvant guère que considérations filandreuses, rien moins que limpides. Lisant cela, on se surprend à se demander ce que l'on est en train de lire et où l'auteur cherche à nous conduire, si tant est qu'il le sache bien lui-même. Parenthèses, tirets, guillemets, incidentes, propositions qui s'enchaînent et se télescopent comme si, ayant peur de laisser échapper une idée, on l'épinglait au petit bonheur, au passage. Voici chroniqués les Écrits de Laure :
" [...] Car les préfaces pèsent sur les tombes, les poèmes il aurait fallu, studieusement, odieusement, apprendre à les parfaire, les concepts tels que le Sacré d'époque — critiqué le plus simplement du monde pages 134 à 142 par un être vivant jusque-là sauf d'idées, et dénoncé s'il n'équivaut à la "nudité" qu'il cherchait — ressortissent à la culture et font tomber dans l'histoire grise, les influences (Nietzsche, qui a proposé ce que Laure quêtait, ce point de génialité où l'on méprise ce que l'on aime) dévorent, en faisant récrire à travers elles des aphorismes de réminiscence, les rencontrent dévoient — si l'érotisme, on s'y perd, et même chaque jour avec plus de liesse, on ne s'y trouve pas : page 253 —, l'hagiographie tourne court avec celles qui ne se veulent saintes, les amis dépriment : "cette conviction qu'aucun être humain ne peut aider un autre", quant aux coups de chapeau des assis, au passage, trente ans après : "emmerdements des airs pesants pour les choses profondes", disait-elle [...]"
Mais c'est moi, peut-être, que la paresse de la retraite a rendu trop stupide pour comprendre "ces notes et études critiques", dont "la véhémence" justifierait l'épithète du titre, référence au "grand Romain Caton qui exhortait à détruire Carthage". Rien de moins !
On retiendra de ce fatras quelques formules heureuses, cette belle phrase, par exemple, qui clôt mélancoliquement la dernière chronique du recueil :
"Les hommes ne se demandent jamais où vont les chiens après leur mort."
11:40 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Ce style me fait penser à ces tableaux abstraits faits d'un agglomérat de couleurs appliquées au couteau ou directement au tube de peinture, et qui donnent ainsi à voir un écœurant relief croûteux qui se hasarde vers l’œil.
Écrit par : Marsyas | vendredi, 06 décembre 2013
@Marsyas : Je m'aperçois que ma réponse à votre commentaire s'est évanouie dans le cyberespace. Que disais-je ? Que, oui, on peut préférer la "bonne peinture", façon Marcel Aymé. Se régaler l'œil d'une raie à la Chardin, par exemple, ou, en dessert, d'une simple pomme prise au compotier de Cézanne.
Quoi de neuf dans ch'Nord ? J'ai toujours mon pied-à-terre à Wazemmes. Il y pleut, je crois bien. Au printemps, on y logera les hirondelles...
Votre visite m'a fait plaisir. Amitiés.
Écrit par : C.C. | mardi, 10 décembre 2013
Le Nord n'est plus que le pays de mon cœur, l'ayant quitté pour l'Alsace, où je dégrossis "un troupeau de marmousets" — et où la bière est moins alcoolisée (je vis dans une ville de brasseurs), les porte-monnaie plus remplis (je vivais dans une ville de pauvres) et les saisons plus marquées (le brouillard du littoral était mon lot presque quotidien et je tremble maintenant d'avoir décidé de négliger les pneus neige). Et voilà que je fais du Jude Stefan.
Vos amitiés me font plaisir ; je vous transmets les miennes en retour ! Cela fait des mois que je me répète régulièrement qu'il faut que je vous écrive. Est-ce pour cette raison qu'il m'arrive de rêver de vous ?
À bientôt — au moins en rêve, donc !
Écrit par : Marsyas | mardi, 10 décembre 2013
@Marsyas : Votre histoire de rêve me tracasse, d'autant que, relisant le "Journal atrabilaire" de Jean Clair, j'y trouve ceci : "Le rêve est traversé de revenants. Si on voit en rêve un disparu, avec la netteté frappante du rêve qui se substitue au souvenir qu'on avait maintenu dans l'incertitude, c'est qu'il est mort et bien mort, et qu'on ne le reverra plus." Vous me direz que J. Clair parle de personnes qu'on sait disparues — et non simplement perdues de vue. Je sais, j'ai bien lu ; mais, comme dit la chanson, ça vous fait tout de même quelque chose !
Écrit par : C.C. | vendredi, 20 décembre 2013
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