jeudi, 13 juin 2013
Bisogna morire
Au hasard des lectures du moment :
"Je pense que personne ne comprend la mort. Lorsque l'on dit : mort, on pense : vie. Car si, en mourant, on étouffe et on a peur — ou — le contraire — [...] — tout cela : et l'étouffement, et la peur, et [...] — c'est la vie. La mort, c'est quand je ne suis pas là. Or je ne puis pas ressentir que je ne suis pas là. Donc ma mort n'existe pas. N'existe que la mort d'autrui : c'est-à-dire le vide d'un lieu, un lieu vidé (il est parti et vit quelque part), c'est-à-dire de nouveau la vie et pas la mort, impensable tant qu'on vit. Il n'est pas ici (mais est quelque part). Il n'est pas — non, car il ne nous est pas donné de comprendre quoi que ce soit autrement qu'à travers nous-mêmes, toute autre compréhension est la répétition de sons par un perroquet.
"Je pense que la peur de la mort est la peur de l'être dans le néant, de la vie — dans la tombe : je serai allongé et les vers ramperont sur moi. Raison de plus de brûler les gens comme moi.
"Et puis —mon corps serait-il par hasard — moi ? Serait-ce par hasard lui qui écoutait la musique, écrivait des poèmes, etc. ? Le corps ne sait que servir et obéir. Le corps — une robe. Que m'importe, si on me l'a volée, dans quel trou, sous quelle pierre, l'aura enterrée le voleur !
"Que le diable l'emporte ! (le voleur, et la robe aussi)."
(Marina Tsvetaeva, sur la mort d'Alexandre Blok, 17 août 1921, in Vivre dans le feu —Confessions, trad. Nadine Dubourvieux, Le Livre de Poche, 2008, p. 219-220)
La ponctuation, très particulière, de Marina Tsvetaeva eût agacé Frederick Exley, dont l'avatar homonyme — le narrateur du Dernier Stade de la soif (A Fan's Notes) — ne supporte ni les tirets, ni les points d'exclamation. Ceux, du moins, que sa dulcinée multiplie dans sa prose épistolaire : "... le département de littérature de sa fac locale devait être particulièrement épris de tirets et de points d'exclamation ; les lettres s'enchaînaient sans la moindre virgule. En ce qui concernait les points, elle n'utilisait que celui d'exclamation, tant elle voulait honorer chaque banalité qu'elle couchait sur le papier." (Le Dernier Stade de la soif, 10/18, 2013, p. 219)
Que dire, alors, de la ponctuation emphatique dont les internautes assaisonnent aujourd'hui leurs commentaires imbéciles ?
"Ceux qui vivent très vieux et ceux qui meurent très jeunes perdent la même chose. Ils n'abandonnent que le présent, puisque c'est tout ce qu'ils possèdent."
(Marc-Aurèle, cité par Gerard Donovan — épigraphe de Julius Winsome, Points/Seuil, "Roman Noir", 2010)
Du même : "Combien d'hommes entrés avec moi dans le monde en sont déjà partis !" (Pensées, trad. A.I. Trannoy, Les Belles Lettres, 1964, p. 67)
"At a certain age, consciousness of mortality is not an elective study."
(James Lee Burke, The Tin Roof Blowdown, Londres, Phoenix, 2008, p.372)
À propos de cette prise de conscience, Burke fait référence aux soixante-dix années de vie que nous accorde le Psalmiste : "Quoniam omnes dies nostri defecerunt ; et in ira tua defecimus. Anni nostri sicut aranea meditabuntur ; dies annorum nostrorum in ipsis septuaginta anni. Si autem in potentatibus octoginta anni, et amplius eorum labor et dolor ; quoniam supervenit mansuetudo, et corripiemur." (Psaumes, 89 : 9-10)
On peut regretter que la plupart des traductions modernes, considérant que le sicut aranea — emprunté à la version syriaque du texte — reprend une lecture erronée, ignorent cette comparaison imagée et lui préfèrent la formule hébraïque "comme un murmure". On lit toutefois dans la Sainte Bible commentée de L.-Cl. Fillion (Paris, Letouzey et Ané, 1887-1904, 8 vol.) : "Nos années se passent en de vains soucis, comme pour l'araignée." (IV, p. 278). Commentaire : "L'araignée, d'après la croyance populaire, s'épuise à tirer de sa propre substance les fils qui composent sa toile. Ou bien, la comparaison porterait, selon d'autres interprètes, sur la fragilité de cette toile : nos plans les mieux concertés pour faire durer nos jours ne sont pas plus solides qu'elle."
21:52 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Le texte de Tsvetaeva est cristallin, comme le tombeau de Blanche-Neige. Il m'a fait penser à cette phrase d'Edward Hopper, qui m'avait frappé elle aussi : "Comment savoir à quoi ressemble une pièce vide si personne n’y est ?"
Amitiés,
Écrit par : Marsyas | vendredi, 14 juin 2013
The bear went over the mountain,
To see what he could see.
And all that he could see,
Was the other side of the mountain.
Écrit par : C.C. | mercredi, 19 juin 2013
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