jeudi, 07 janvier 2010
Alexipharmaque
Je viens de lire, quasiment d'une traite, les quelque 930 pages des Disparus, de Daniel Mendelsohn (Flammarion, 2007) — somme impressionnante, à la fois très "américaine" dans son écriture (j'entends par là désinvolte, "journalistique" à la façon de Truman Capote, familière, jusque dans l'évocation de l'intime) et très "intellectuelle", très littéraire finalement, comme le laissent pressentir le "sunt lacrimæ rerum" de la dédicace initiale et l'épigraphe de la première partie : "Quand nous avons dépassé un certain âge, l'âme de l'enfant que nous fûmes et l'âme des morts dont nous sommes sortis viennent nous jeter à poignées leurs richesses et leurs mauvais sorts..." Virgile et Proust. La connaissance de la douleur et la recherche du temps perdu. La quête de ces disparus, de leurs traces dans l'espace et dans le temps est scandée par les références aux parashiyot de la Genèse, dont les problèmes d'interprétation renvoient aux interrogations multiples qui traversent le livre, livre composite, foisonnant, illustré de photographies, qui, comme chez Sebald, offrent au lecteur une sorte de contrepoint visuel, délibérément lacunaire... Un livre qui peut, lorsqu'on feuillette parallèlement Céline, faire office de contrepoison ou, comme on disait dans l'ancienne médecine, d'alexipharmaque — "remède qui expulse du corps les principes morbifiques ou qui prévient l'effet des poisons pris à l'intérieur". Un livre qui m'amène en outre à réviser mon jugement d'humeur sur les prix littéraires : Les Disparus a obtenu le prix Médicis étranger en 2007. Il arrive que certaines récompenses soient méritées.
19:07 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (6)
Commentaires
Quel ce battement d'ailes qui, subrepticement, vient de traverser le ciel et dont on perçoit encore le sillage dans les nuages..?
Une bonne lecture comme antipoison, il n'y a rien de mieux par les temps qui courent!
Merci
Écrit par : Pierre Funes | samedi, 09 janvier 2010
Je partage votre analyse de la première à la dernière ligne : c'est exactement ce que j'ai pensé lorsque je l'avais lu.
Écrit par : Anne | dimanche, 10 janvier 2010
Si j'ai bien compris, c'est Céline et non pas Proust qui est jugé macabre ici ? (Sans oublier Franquin, l'auteur de Gaston Lagaffe lui aussi à la recherche du temps perdu : "La vie met longtemps à devenir courte.")
Écrit par : Lapinos | jeudi, 21 janvier 2010
@ Lapinos : Macabre, non. Mais pusillanime, fielleux, mauvais... oui. Je parle de l'homme, pas de l'écrivain, du styliste prodigieux, qui fait mentir la formule galvaudée de Buffon. Sans être spécialiste de Proust, j'ai le sentiment que chez celui-ci, en revanche, le style justifie ce qu'en ont écrit Pascal, Buffon, donc — et Barthes. Bien sûr, cela ne va pas vous plaire !
Écrit par : C.C. | jeudi, 21 janvier 2010
Car si la formule de Buffon, qui est aussi celle de Mme de Staël, de Sainte-Beuve, de Baudelaire en peinture, Flaubert, et que Proust ne fait que pousser jusqu'à son point d'absurdité extrême (et encore Chardonne aussi), si cette formule a un sens, cela signifie que le goût pour le style de Céline traduit l'attrait pour un salaud, ce qui place le lecteur, innocent citoyen, dans une position indigne. N'est-ce pas ça, au fond, le raisonnement ?
Avouez dans ce cas que les femmes qui "cristallisent" sur des repris de justice ou des hommes politiques font moins de chichis, qu'elles "assument" leur mauvais penchant, comme on dit.
Pour ma part, c'est différent, je ne m'intéresse à Céline en tant que peintre que dans la mesure où il n'a pas de style (Je ne nie pas que Céline a du style, mais s'il était seulement un poète, je ne m'y intéresserais pas -d'ailleurs les pamphlets de Céline, où il est sans doute le moins pusillanime et le plus poétique, ne m'intéressent quasiment pas.
Écrit par : Lapinos | vendredi, 22 janvier 2010
L'attrait pour "le salaud" n'est pas mal vu. Céline aussi est un antidote à sa manière. Aux miasmes sartriens, par exemple...
Écrit par : C.C. | vendredi, 22 janvier 2010
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