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dimanche, 03 janvier 2010

"Tu veux faire ici l'arboriste..."

On peut reprocher beaucoup de choses aux universitaires : leur suffisance, leur cuistrerie, l'incroyable myopie du regard qu'ils portent occasionnellement sur le monde dans lequel ils vivent... Mais, du moins, dans le champ souvent fort exigu de leur spécialité, savent-ils à peu près de quoi ils parlent. Pourquoi le Nouvel Observateur — qui consacre, de manière assez saugrenue, dans son avant-dernier numéro, tout un dossier à la Renaissance — n'a-t-il pas fait appel aux "maistres du mestier" pour présenter Érasme, Calvin ou Rabelais au grand public ? Ces gens-là savent aussi, parfois, faire de la vulgarisation intelligente, et cela nous aurait évité banalités, platitudes, âneries et paraphrases en tout genre. On peut craindre qu'un journaliste qui parle de "l'extrémité contondante" d'une fourchette ne soit pas un guide très fiable pour nous introduire à la lecture de Montaigne, promu pour la circonstance "inventeur [...] de l'autofiction" !
"Un artisan tesmoigne bien mieulx sa bestise en une riche matiere qu'il ayt entre mains..."

Commentaires

Si vos universitaires spécialisés savent "à peu près" de quoi ils parlent, ils ne sont spécialisés en rien et ne valent pas mieux que des journalistes un peu mieux habitués à s'exprimer clairement.

Le problème de l'expertise, c'est que c'est souvent l'argument le plus convaincant de l'incompétent. Et que selon certain savant, saucissonner la science est le meilleur moyen de la tuer. Nous en sommes là selon moi.

Récemment la télévision a montré la directrice du CNRS : elle débordait de suffisance et de connerie presque palpables.

Écrit par : Lapinos | mardi, 05 janvier 2010

Une fois de plus, je rappelle la formule de Littré : "Il peut y avoir des sots parmi les savants ; la science ne préserve pas de la sottise." La "connerie" et la suffisance que vous évoquez relèvent de cette sottise — et non de la bêtise, qui "est dans tout ce qui provient de l'ignorance". Cette sottise est en effet largement représentée chez les universitaires. Toutefois, si elle en fait des gens infréquentables et souvent ennuyeux, elle n'enlève rien à leur compétence ou, comme vous dites, à leur "expertise". Mon "à peu près", vous l'avez bien compris, relevait de l'atténuation ironique. Les notes de bas de page, les "brodures" et les gloses que Rabelais pouvait se permettre de mépriser, nous sont aujourd'hui plus utiles, pour comprendre son propos, que les délires d'autodidactes ou d'amateurs qui croient, comme François Bon, qu'il suffit de se jeter dans les textes du XVIe siècle pour apprendre, miraculeusement, à y nager... Quelle prétention ! Quant à ces journalistes qui "s'expriment clairement", avouez qu'ils ne courent pas les rues ; ou, s'ils sont "clairs", c'est dans le sens où l'on parle d'une soupe claire. Peu nourrissante et insipide. Avec quelques morceaux mal cuits qui surnagent dans l'assiette... creuse.

Écrit par : C.C. | jeudi, 07 janvier 2010

Je ne parle pas de sottise mais de bêtise, de mensonges. N'oubliez pas que les journalistes que vous incriminez sont tous passés ou presque par l'université.
Si je prends le cas de Bacon, que j'affectionne particulièrement, comment expliquer ce lieu commun colporté par des universitaires selon lequel il serait le père spirituel de la science polytechnique moderne, alors que :
- Bacon définit explicitement la mécanique comme le domaine de la statique ;
- qu'il situe les mathématiques (comme Aristote) au même niveau que la rhétorique ;
- et que, point qui a trait à notre discussion, le progrès de la science selon Bacon implique, non pas la multiplication des spécialistes dans des domaines précis (tour d'esprit caractéristique d'une évolution scientifique cartésienne), mais au contraire d'abattre les cloisons entre les différentes disciplines. Bacon suggère ainsi l'identité musique = mathématique = rhétorique, arts éminemment politiques.

Je prends l'exemple précis de Bacon, mais je pourrais en prendre cinquante autres : la peinture de la Renaissance, Marx, Dante, Shakespeare, la science janséniste du XVIIe siècle, la Révolution française, dont les études trahissent un tour d'esprit religieux et non scientifique ; c'est-à-dire qu'il s'agit manifestement de retailler le passé (c'est indubitablement le motif s'agissant de Bacon et de la peinture de la Renaissance), surtout lorsqu'il est prestigieux, pour lui faire chanter les louanges du temps présent. Les universitaires n'échappent pas au parti-pris, largement libéral pour l'heure, l'inconvénient étant par rapport aux journalistes qu'ils sont tous revêtus des habits virginaux de la neutralité.

Exception faite évidemment de tel ou tel universitaire isolé ; je me félicite ainsi d'avoir lu le petit bouquin synthétique de Pascal Combemale sur l'économie marxiste.

Écrit par : Lapinos | jeudi, 07 janvier 2010

Ce qui est fascinant, chez les savants de la Renaissance, c'est en effet cette culture polymathe, revendiquée bien sûr par Pic de la Mirandole ("De omni re scibili"), mais que l'on rencontre aussi bien chez Cardan, Blaise de Vigenère et tant d'autres. C'est justement l'étendue et la diversité de ce savoir humaniste qui rend si difficile la lecture des grands auteurs du XVIe siècle, réduits par les manuels scolaires à de pauvres caricatures avant d'être à peu près totalement évacués des programmes du lycée...

Écrit par : C.C. | jeudi, 07 janvier 2010

Pour ma part je suis sûr que la peinture de la Renaissance, telle qu'elle est enseignée dans l'Université, est enseignée n'importe comment, à la limite du délire souvent.
Pour caractériser cette erreur, je dirais qu'elle est traduite et expliquée sous l'angle de principes qui sont ceux de la peinture baroque.
Les noms de Brunelleschi et Alberti et de leurs principes architecturaux sont ainsi sans cesse cités comme ayant une influence déterminante, alors qu'il s'agit de mauvais peintres et que si la préoccupation première de Dürer ou de Michel-Ange était l'organisation de figures dans un plan, ils ne seraient pas Dürer et Michel-Ange mais Kandinski ou Mondrian. Par ailleurs il est certain que pour un peintre de la Renaissance, cet aspect, disons "géométrique et architectural", est avant tout décoratif ou artisanal.

La Renaissance est donc quasiment effacée des tablettes universitaires par une approche continuiste qui consiste à concevoir l'Histoire comme une rétrospective menant par palliers successifs jusqu'à l'admirable niveau de culture atteint par notre société. Si ça fait autant penser à la mésaventure de Narcisse, c'est que les médiats constituent une nymphe Echo idéale et qu'on associe traditionnellement le miroir à la psyché, qui a pris une place plus qu'envahissante.

Écrit par : Lapinos | jeudi, 07 janvier 2010

... plus qu'envahissante.

Écrit par : Écho | vendredi, 08 janvier 2010

Moi, humblement, je préfère (re)lire Rabelais et Montaigne dans le texte, sans note (presque) et sans filet. Ça vous purge votre langue (si j'ose écrire) sinon votre esprit (à la dixième lecture, c'est vrai)
A la centième lecture, nous pourrions nous payer le luxe de lire les notes de bas de page et éventuellement, une bonne traduction ciselée par un de ces "Maîtres du Métier" (comme vous écrivîtes) rien que pour le fun.
Meilleurs voeux à vous et à tous les vôtres, cher Constantin.

Écrit par : Martin-Lothar | vendredi, 08 janvier 2010

Humblement ?

Écrit par : C.C. | vendredi, 08 janvier 2010

Humblement pour compenser l'extrême arrogance de l'Université, qui frise souvent le comique, comme lorsque Jean-Didier Vincent, éminent spécialiste de la psychologie des chats, déclame publiquement qu'Eschyle est caduc.

Écrit par : Lapinos | lundi, 18 janvier 2010

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