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dimanche, 24 mai 2009

Docte ignorance et progrès de l'exégèse

"Les commentateurs de Rabelais, les plus ingénieux comme les plus savants, n'ont rien compris au chapitre VII du livre II intitulé Comment Pantagruel vint à Paris, et des beaulx livres de la librairie de Saint-Victor. J'ai prouvé dans les notes de mes deux éditions des œuvres de Rabelais, que je ne comprenais pas mieux que mes devanciers les mystères horrificques de bibliographie et d'histoire littéraire, que renferme ce curieux chapitre."

(Paul Lacroix, Catalogue de l'abbaye de Saint-Victor au seizième siècle. Rédigé par François Rabelais, commenté par le Bibliophile Jacob, Paris, J. Techener, 1862)

Commentaires

à part vous personnene nous parle plus du Bibliophile Jacob, alias P. L.

son édition de Rabelais est un miracle de typographie minuscule ET lisible

increvable et inépuisable

à l'heure où le gourou Onfray préface la traduction de Rabelais en français par un japonais, l'édition du Bibliophile est plus que jamais indispensable et délectable

soyez donc béni d'évoquer et citer ce spécialiste des démons & revenants

L Watt-Owen

Écrit par : L. Watt-Owen | dimanche, 24 mai 2009

Il est vrai que, si les naïvetés légendaires du "Bibliophile Jacob" peuvent prêter à sourire, son inépuisable curiosité, son érudition brouillonne et son amour passionné des vieux auteurs en font un personnage infiniment sympathique. Je possède l'édition de Rabelais à laquelle vous faites allusion, je pense (Charpentier, 1850) et c'est également dans l'édition Paul Lacroix du "Moyen de parvenir" (de mémoire : Charpentier, 1841) que j'ai commencé, il y a bien longtemps, à fréquenter Béroalde...
La typographie du Rabelais est, en effet, remarquable — surtout si l'on compare ce beau travail, honnête, aux cochonneries que l'on ose imprimer aujourd'hui, pourries de coquilles et de mastics divers.

Écrit par : C.C. | dimanche, 24 mai 2009

Extrait dont l'exégèse est peut-être plus facile :
"L'écolier répondit :
- Seignor missaire, mon génie n'est point apte nate à ce que dit ce flagitiose nébulon, pour excorier la cuticule de notre vernacule gallique ; mais viceversement je gnave opère et par vèle et rames je m'énite de le locupleter de la redondance latinicome. [on dirait Sollers ou Rinaldi, tous les philosophes allemands et les "chevaliers du subjonctif"]
- Par Dieu, dit Pantagruel, je vous apprendrai à parler."
Livre II, VI.

Il y a encore quelques expressions rabelaisiennes qui subsistent dans le langage courant ; je fus assez interloqué devant l'expression de "queue de renard" qu'une Berrichonne de vingt-cinq ans employa devant moi et que je n'avais jamais entendue auparavant (du coup je passai pour un écolier auprès de la donzelle). Je trouve maintenant son explication dans "Pantagruel".

Écrit par : Lapinos | lundi, 25 mai 2009

@ Lapinos : On peut également dire que c'est le langage populaire qui a fourni à Rabelais bon nombre d'expressions savoureuses qu'il nous a transmises... Dans quel sens votre Berrichonne employait-elle cette "queue de renard" qui me laisse un peu perplexe ?

Écrit par : C.C. | lundi, 25 mai 2009

Dans le sens d'"écorcher le renard" ou de "renauder" (Balzac).
La comparaison entre la gorge et le renard, je ne peux m'empêcher de la rapprocher de la parole du Sauveur : "Mais ce qui sort de la bouche vient du coeur, et c'est là ce qui souille l'homme." Matth. XV, 18.
D'autant plus que cou, nuque, bouche, sont plusieurs fois péjorativement connotés dans la Bible.

Selon moi Rabelais fait plus que transmettre des expressions savoureuses, il fait -exactement comme Bacon- la promotion de la sagesse des Anciens, contenue dans leurs fables et vocabulaire imagés, contre la science scolastique.
Est-ce que la mythologie ne s'oppose pas à la mythomanie et vice-versa ?

Écrit par : Lapinos | mardi, 26 mai 2009

L’expression "queue de renard" pour désigner les vomissures ne se trouve pas, sauf erreur de ma part, chez Rabelais, qui emploie bien, en revanche, la formule "écorcher le renard" ("Gargantua" 11, "Quart Livre" 44), toujours en usage, ainsi que ses variantes, dans les milieux populaires. Les dictionnaires anciens, qui connaissent également le verbe "renarder", ne donnent pas "queue de renard" dans cette acception — même s’ils signalent que ladite queue constitue sans doute un point de départ étymologique (Trévoux, d’après Le Duchat). Les exemples du TLF sont empruntés aux auteurs du XIXe, dont Zola. La "queue de renard" dont il est question chez Rabelais est associée à la dérision, à la moquerie (c’est d’ailleurs le sens que donne Oudin à l’expression) : "il faudrait atacher une queue de renard au collet et faire un masque d'une bouze de vache" aux "niays du temps des haultz bonnetz" ("Gargantua 9") et Panurge ridiculise ses victimes "leur atachant petites quehues de regnard, ou des oreilles de lievres par derriere" ("Pantagruel" 16).
@ Lapinos : pour ce qui est de votre lecture des classiques, je n’irai pas vous chercher chicane sur Pascal, que je ne relis guère. Le seul pascalien fréquentable que j’ai connu était l’un de mes professeurs de lycée, puis d’université, qui affirmait que la clé de l’œuvre et de la pensée de notre Auvergnat célèbre était à chercher du côté de sa constipation chronique. C’est plutôt sur vos raccourcis concernant les positions respectives de Rabelais et Montaigne vis-à-vis du langage que je ne suis pas prêt à vous suivre. Mais cela serait l’objet d’un développement qui outrepasserait les dimensions raisonnables d’un commentaire…

Écrit par : C.C. | vendredi, 29 mai 2009

- Comme les cordonniers sont les plus mal chaussés, non seulement les vers des philologues finissent en entrelacs gothiques ou byzantins, mais les philologues se retrouvent en position d'être les plus mal placés pour comprendre la langue. Une position inférieure à celle du cordonnier, aussi rêveur soit-il.
Ce n'est pas le moindre des mérites de Marx de révéler le principe de l'animisme "judéo-chrétien" ou "allemand", et que le capitalisme est une "poétique".

Pour moi Sartre ou Proust incarnent le pire des fétichismes : le fétichisme du langage. Des collectionneurs de sentiments, qui vendent de l'air des Vosges en boîte. Orsenna avec son "chevalier du subjonctif", c'est Don Quichotte détaché au ministère de la Kulture. Preuve supplémentaire : le latin et l'allemand, langues des philologues, sont les plus archaïques. Contrairement aux "on dit", Céline est beaucoup moins boche que Sartre et il place une barre d'acier dans l'engrenage des mots.

- Question de renard, voyez que vous-même ne voulez prendre en compte que l'acception spirituelle et pas l'aspect d'une flaque de vomis rousse. Le renard est la gorge chez Rabelais, et l'association de la gorge, non seulement au rire et à la moquerie, mais aussi à la ruse, est classique et biblique.
S'il y a un endroit où Athènes et le catholicisme se rencontrent, c'est dans la relégation du langage. S'il y a bien un phénomène qui n'est pas grec ni évangélique, c'est la religion du langage. Affirmer que Homère est un poète relève de l'abus de langage ; ou d'une poésie totalement contraire à celle prônée par Gombrovitch, à savoir une poésie extrêmement préméditée, dont le moindre détail est sculpté dans la pierre.

Rabelais traduit une forme d'irrespect du langage qui n'est pas dans Montaigne (dont Chardonne il me semble a repris plus ou moins la formule magique).
Mais Rabelais n'est pas isolé dans son époque. Les peintres de son temps ont fait la même chose en chassant autant que possible la poésie de la peinture. Tandis qu'il fallait le tempérament de Céline pour pénétrer dans la salle de concert et se faire sauter comme un terroriste musulman au milieu de tous ces pingouins et leurs instruments de mesure à cordes ou à vent. C'est le solfège qui en prend un coup avec l'attentat de Céline. Je ne saurais dire qui de Rabelais ou Céline est le plus artisanal des deux.

- Maintenant aucun débat sec et dépassionné n'est possible à propos de la littérature. Et l'idolâtrie, en peinture, est plus ancienne encore.

Écrit par : Lapinos | samedi, 30 mai 2009

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