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lundi, 06 août 2007

Chasses futiles

Perdu beaucoup de temps, ce week-end, à rechercher une page de Quignard dans laquelle je croyais me souvenir qu'il était question du temps gagné sur la maladie fatale ; sursis, rémission ou guérison, ce temps offert, dit en substance l’auteur, relève d’une temporalité — d’une atemporalité ? — paradisiaque. Naturellement, je n’ai pas retrouvé le passage en question. J'étais pourtant à peu près sûr que cela se trouvait dans Les Paradisiaques ou Sordidissimes. Mystère de ces phrases, de ces objets qui disparaissent : la littérature et le quotidien sont des mondes flottants.

Commentaires

La page que vous cherchez est, il me semble, plus ancienne. Pascal Quignard a failli mourir, effectivement, voilà plus de dix ans. Avant la publication de "Vie secrète", en tout cas – qui date de 1998. Je trouve sur Wikipedia l'information suivante, qui le confirme : "Suite à un accident cardiaque, Quignard est hospitalisé d'urgence en 1997 ; en résulte la rédaction de "Vie secrète", livre qui mêle la fiction et la théorie, le rêve, le conte, le journal intime, le roman, la poésie, le traité, l'essai, le fragment, l'aphorisme, etc. Cette nouvelle forme littéraire, héritée à la fois des "Tablettes de buis...", des "Petits traités", de "Rhétorique spéculative", oriente alors son œuvre jusqu'à la fin de sa vie ("en moi tous les genres sont tombés", dit-il).
J'ai lu, comme vous, la phrase que vous recherchez. Il me semble qu'elle figurait dans un entretien (à Télérama ? avec Michèle Gazier) plutôt que dans l'un des livres de Pascal Quignard. Elle est peut-être dans "Vie secrète". Je ne crois pas l'avoir lue ailleurs.
Quant à ces mondes flottants, j'ai sans doute oublié à la terrasse d'un café, dans la soirée de samedi, le portemine avec lequel je prends mes notes quand je lis. Oubli étonnant, car je tiens à cet objet, qui n'est plus fabriqué. Mais je flotte, ces temps-ci, votre expression est on ne peut plus juste.
(Dimanche matin, au comptoir dudit établissement : "Vous cherchez quoi ? C'est quoi un portemine ?
– Un porte-avions avec lance-missiles, mais en plus petit, c…ard !")

Écrit par : Dominique Autié | lundi, 06 août 2007

On ne sait si la rime avec les Chasses subtiles d'Ernst J est volontaire, mais elle ne déplaît pas. Beau paragraphe que celui-ci, beau concept que ces Chasses futiles. Futiles aux yeux du sens commun, peut-être, mais essentielles, en vérité. Le monde est flottant mais il n'est pas un rêve, vous n'avez pas inventé cette phrase, elle est quelque part. On vous souhaite de pouvoir dire bientôt, la voilà!

Écrit par : Ph | mardi, 07 août 2007

Merci pour vos commentaires attentifs : l'implicite connivence qu'ils suggèrent me touche et me conforte dans mes lubies, mon obstination oiseuse à poursuivre du vent, des mots.
Je n'ai pas retrouvé la page perdue, mais ceci, que je ne cherchais pas et qui nous concerne, je crois, nous autres "lisards" impénitents : "Ceux qui aiment ardemment les livres constituent, sans qu'ils le sachent, la seule société secrète exceptionnellement individualisée. La curiosité de tout et une dissociation sans âge les rassemblent sans qu'ils se rencontrent jamais. Leurs choix ne correspondent pas à ceux des éditeurs, c'est-à-dire du marché. Ni à ceux des professeurs, c'est-à-dire du code. Ni à ceux des historiens, c'est-à-dire du pouvoir. Ils ne respectent pas le goût des autres. Ils vont se loger plutôt dans les interstices et les replis, la solitude, les oublis, les confins du temps, les mœurs passionnées, les zones d'ombre, les bois des cerfs, les coupe-papier en ivoire. Ils forment à eux seuls une bibliothèque de vies brèves mais nombreuses. Ils s'entre-lisent dans le silence, à la lueur des chandelles, dans le recoin de leur bibliothèque tandis que la classe des guerriers s'entre-tue avec fracas sur les champs de bataille et que celle des marchands s'entre-dévore en criaillant dans la lumière tombant à plomb sur les places des bourgs ou sur la surface des écrans gris, rectangulaires et fascinants qui se sont substitués à ces places." ("Vie secrète", p. 221 de l'éd. Folio) Amicalement à vous.

Écrit par : C.C. | mardi, 07 août 2007

Je me demande si le passage que vous cherchez n'est pas dans Albucius...

Écrit par : Kate | mercredi, 08 août 2007

Étrange métabolisme que celui du lecteur ! Je croyais avoir lu "Vie secrète", comme peu de livres méritent de l'être : je pensais l'avoir ingéré, je le croyais en quelque sorte confondu à ma chair et vivant dans ma langue. Et voilà que, ce matin, je découvre ce passage grâce à vous ! Son apparente évidence, je suppose, me l'a fait lire, en son temps, comme allant de soi. Pourtant, l'évocation, dans ce livre-là, de cette "société secrète exceptionnellement individualisée" n'a pas simple valeur descriptive, sociologique. Elle rejoint et conforte une image qui s'impose à moi quand je songe à notre présence et notre cheminement parmi notre temps : ce qu'on a nommé l'Église du silence. À cette forme de poisson que celle ou celui qui s'identifiait dans la Parole interdite dessinait sur la poussière, du bout de sa sandale.

Écrit par : Dominique Autié | mercredi, 08 août 2007

Parce que Caius Albucius Silus était atteint d'un cancer dont il devait mourir, j'ai un moment cru trouver dans Albucius quelque chose sur la guérison, la rémission. Je me suis trompée. Il n'y a que les lubies d'un homme malade qui, tous les matins, boit tiède le lait de sa nourrice et se fait porter les linges imbibés des odeurs intimes des gens de son voisinage "qu'il s'appliquait sur le nez pendant qu'on tirait de lui du plaisir avec les doigts".

Mais de Vie secrète, j'ai trouvé ceci, à une ou deux pages (pp. 219-220 de l'édition Gallimard folio) de l'extrait auquel vous référez plus haut:

"Une nuit où je me retrouvais à l’hôpital en train de mourir la tête dans un oreiller rempli de sang, je redressai mon visage et mes épaules. J’adossai mon torse nu à l’oreiller. Plus tard je demandai à lire à M. et je me mis à lire. La lecture est l’oubli de soi. Lire en rejetant son sang est malcommode mais lire en mourant est possible.

Les lettrés de la Rome ancienne se faisaient un honneur de cette ultime scène en se suicidant. Lire est se brancher sur un autre monde, concentrant le cerveau, dans un monde bon pour soi, qui diverge, qu'on ignore, autre. C'était mon recoin. In angulo.

In angulo cum libro.

Monsieur de Ponchâteau logeait aux granges de Port-Royal dans la petite chambre située au premier étage, à la gauche de l’escalier. On peut y monter. On peut encore la voir.

II avait toujours à la main un livre parce qu’il avait toujours aux lèvres ce mot de l’Imitation: In omnibus requiem quaesivi et nusquam inveni nisi in angulo cum libro. (J'ai cherché le repos dans tout l'univers et je ne l'ai trouvé nulle part que dans un coin avec un livre.)

Vivre dans l'angle mort du social et du temps. Dans l'angle du monde."

Peut-être l'angle est-il l''a-temporalité pardisiaque" à laquelle vous pensez...

Écrit par : Kate | mercredi, 08 août 2007

"Les Belles-Lettres ... oh maman l'aimable refuge!"
(Michel Ohl, je ne sais plus où)

Écrit par : Ph | jeudi, 09 août 2007

Kate : J'étais à peu près sûr que le passage perdu ne se trouvait pas dans "Albucius". En revanche, j'avais quelque espoir de le retrouver dans "Vie secrète" — d'où il est également absent... Quête frustrante, mais qui m'aura du moins permis de relire quelques unes des très belles pages qu'on trouve chez Quignard — à côté de spéculations parfois moins convaincantes.
"Aimable refuge", en effet, que cette "maison de feuilles" qu'on n'a jamais fini de parcourir avec bonheur. Merci Ph. pour la citation.

Écrit par : C.C. | samedi, 11 août 2007

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