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lundi, 24 avril 2006

Maria

En recherchant un papier égaré, je retrouve au fond d’un tiroir deux chroniques de Vialatte, jaunies par le temps, autrefois découpées dans La Montagne, le quotidien de Clermont-Ferrand. Celle du 27 avril 1969 s’intitule "Maria, roman paysan par Lucien Gachon". Vialatte, qui alors n’était pas à la mode, y parle, bien sûr, du livre — préfacé par Pourrat — de cet obscur auteur régionaliste, mais aussi, selon son habitude, de beaucoup d’autres choses : des voyageurs de commerce reçus par Vercingétorix, du jambon de pays, des tigres d’appartement des notaires auvergnats… Tout cela est lyrique, loufoque, inimitable :

"Il faut relire la Maria de Gachon. D’autant plus qu’elle est illustrée de superbes dessins de Pérouse. Commentés par Me Brossel avec amour et dilection. Et que Me Brossel, au Vernet-la-Varenne, possède dans sa salle à manger une tapisserie qui représente la chasse au tigre comme on n’en a plus vu depuis 1820. Les Hindous y portent turban, les tigres y rampent dans la jungle et toute la poésie du monde s’est réfugiée dans ces tigres auvergnats qui entourent de leur trépas ou de leurs cabrioles les repas de Me Brossel. Qui tournent autour de sa soupe, qui épient son bifteck, qui sauteront peut-être un jour, si l’on n’y veille, dans son potage. Mais il est là. Il les domine du regard. Il les contient. Il les fige contre le mur. Il les fait ramper à ses pieds, sur leur papier, autour de lui, comme des chats jaunes. Tels sont les notaires en Auvergne.
Et c’est ainsi qu’Allah est grand."

Relire la maria de Gachon… En a-t-on bien envie ?
Les chroniques de Vialatte, en revanche, n’ont rien perdu de leur charme. Mieux : les quelques rides qu’elles ont prises leur confèrent un supplément de grâce désuète. La nostalgie est toujours ce qu’elle était.

Commentaires

Pour ma part je n'ai jamais lu Pourrat malgré tout le bien qu'en dit Vialatte, mais peut-être est-ce un tort ?

Écrit par : Tlön | lundi, 24 avril 2006

Cher C.C.,
Vialatte inimitable ? J'ai connu des chroniqueurs qui cherchaient à l'imiter, et y parvenaient parfois. A le lire en bloc - la chronique que vous citez est la huit cent dixième, p. 760 du tome II de l'édition Bouquins -, on repère un peu ses tics et ses toquades. Un régal, je suis bien d'accord, mais comme on se régale dans un restaurant que l'on connaît bien.

Dans l'inimitable, il existe un chroniqueur - il a surtout écrit des chroniques et des digressions -, c'est Charles-Albert Cingria. Au bout de trois pages, on est bouche bée, désespérant d'écrire soi-même...

Écrit par : Pierre Enckell | lundi, 24 avril 2006

T. : Pourrat est bien daté, marqué par un régionalisme un peu borné. Il faut dire que Vialatte a parfois des enthousiasmes littéraires que paraissent seules justifier l'amitié avec l'auteur (Ferny Besson) ou une vague connivence géographique (Jean Anglade et autres Auvergnats).
P.E. : L'image du restaurant où l'on a ses habitudes est bien vue. Vialatte ne serait pas Vialatte sans ses tics, ses redites, ses formules récurrentes, ses lubies : indicatif avec "après que", almanach Vermot, dictionnaire de Dupiney de Vorepierre...
Ses romans ne manquent pas de charme non plus. "Les Fruits du Congo" est un très beau livre — c'est plus ou moins "Le Grand Meaulnes" récrit par un kafkaïen de la première heure.
De Cingria, je n'ai lu que "Bois sec Bois vert", il y a longtemps — avec bonheur, je crois, mais je n'en ai pas gardé un souvenir précis ; de belles pages, me semble-t-il, sur les bords de la Loire...

Écrit par : C.C. | mardi, 25 avril 2006

Au hasard, ou presque :

"... C'était un réparateur de tuyaux qui avait beaucoup voyagé, M. de Ziebenthal - il venait à la maison - qui racontait cela.
Nous étions en pantoufles et bien petits l'un et l'autre. Le corridor sentait le faux marbre fraîchement peint. Nous nous intéressions à la lampe à souder qui, même quand elle ne soudait pas (alors il parlait), faisait un terrible jet bleu en l'air, ou de côté ou en bas. Ce qu'il disait (le jet ponctuant dangereusement ses phrases dans une direction qui aurait pu être la nôtre, mais il faisait attention) c'était qu'à Southampton il y a une plage de limon ferme et mille chaises posées dessus le dimanche. Un orchestre, au bout d'un long débarcadère vitré. Les lames déferlent, les mouettes font de blancs accents sauvages. La Bible déambule et se débite. Mille messieurs et autant de dames assis sur ces chaises font craquer des pistaches cultivées dans les profondes serres tièdes de Hollande - c'est beau ce petit vert pistachique qu'on obtient - tout en consommant de la bière pâle ou de celle-là qui s'appelle stout qui mousse comme la fin du monde, qui est noire, où intervient une salubre participation de sang de boeuf. La musique était endiablée, si bien que tout ce monde inconsciemment battait la mesure, soit avec des badines, soit simplement de la pointe et du talon du pied croisé (il disait, et lui aussi battait la mesure au gros tonnerre de sa flamme bleue toujours oscillante du bas tant qu'il parlait) " ...

Ch.-A. Cingria, dans la NRF, avril 1936 (Oeuvres complètes, tome IV, p. 111-112).

Écrit par : Pierre Enckell | mardi, 25 avril 2006

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