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vendredi, 24 février 2006

Le grand style 13

"Après tout si des chirurgiens de trente ou quarante ans, des juges, des architectes, des professeurs, même, et des écrivains, peuvent avoir, ont dans leur majorité, déjà, la calligraphie d'écoliers de neuf ou dix ans, comme cela se voit tous les jours ; s'ils mettent sur leur enveloppe, vous écrivant, de leur grosse écriture pâteuse de pensionnaire pauvre, binoclard et masturbé, M. ou mieux encore Mr. (et ce n'est nullement pour Mister, dans leur esprit) Jean, quand ce n'est pas J., Person, à l'instar d'élèves-instituteurs, tandis qu'ils se désignent volontiers, au dos, comme Tallabert Jérôme, à l'exemple de bidasses cul-terreux, ou Dupouffier Ghislaine, que l'intéressée prononce d'ailleurs Jisslaine, à moins qu'elle ne s'appelle désormais Jennifer ou Gladys, comme naguère votre manucure et comme aujourd'hui les petites Arabes ou les négresses de la caisse, au supermarché; si les feuillets volontiers quadrillés de leurs missives traînent dans des enveloppes trois fois trop grandes, ou sont dix fois pliés et repliés dans des enveloppes trois fois trop petites, mais en tout cas sans aucun rapport avec eux de format, de consistance et de couleur ; si ces mêmes colonels, ces dentistes, ces premiers présidents, ces presque prix Goncourt et ces banquiers, donnent toutes les apparences, donc, en la plupart des signes culturels qu'ils émettent, de sous-chefs de bureau dans des hôtels de ville de brique rouge du bassin sidérurgique, de bedeaux à manches de lustrine pour curés de campagne tuberculeux, de mécaniciens graisseux ou plutôt de fils prépubères de sous-chefs, de sous-bedeaux et de sous-mécaniciens, si tout cela, donc — et ce ne sont des si que par une optimiste complaisance —, on ne voit pas du tout pourquoi, pas du tout pourquoi, pas du tout pourquoi, ni sous quel prétexte, ils ne pourraient pas s'initier aux délices du redoublement de sujet, parler comme ils écrivent, comme des bébés, et dire comme tout le monde "Janine elle aimerait bien le connaître, Roland"."

(Renaud Camus, 22379 signes (les bonnes, l'excrément, les jeunes filles), L'Infini, n° 52, 1995)

Commentaires

Ce texte est lamentable de suffisance.. Et le mot "négresse" dans tout ça: indigne...!

Écrit par : RPH | samedi, 25 février 2006

Dans la catégorie du littérateur irrité, qui se justifie et a droit de cité, pour cette citation, à priori, cherchez en effet l'erreur*. Découvrant ce texte de RC j'aurais choisi deux lignes qui relèvent d'une réelle observation :
«Je me souviens de ma stupéfaction la première fois que j'entendis des adultes parler des papas, des mamans, des bises et des bisous, comme des bonnes, comme des enfants, comme des enfants de bonnes.» RC
De la bouche du cheval c.a.d. du ministre actuel de la santé, on entend à toute occasion : " c'est pour les mamans que nous prenons cette mesure", "nous avons besoin des mamans dans notre action" . C'est ahurissant....

*bien qu'un problème + général de dénomination se pose : entre l'intention de l'injure et l'euphémisation hypocrite.... certains noirs (?) se sentent agressés si on les appelle des blacks.

Écrit par : le ptyx | samedi, 25 février 2006

Faut-il le préciser ? Cette citation est "ironique" — au sens socratique du terme. Cf. Jankélévitch : "Socrate, interpellant les farceurs, confond [...] une suffisance superficielle qui n'est, après tout, que mauvaise conscience." ("L'Ironie", Champs, 1979)

Écrit par : C.C. | samedi, 25 février 2006

Difficile de siffler d'admiration alors qu'on rit aux éclats, tout en essayant de poursuivre sa lecture. Encore un grand bonhomme dont je n'avais entendu parler jusqu'ici que comme d'un ignoble raciste, et dont vous nous faites cadeau. Merci d'exister : c'est le troisième de ce calibre que je découvre grace à vous.

A RPH : il est de bon ton de sursauter sur le "négresse" ; sursautons donc, et indignons-nous.
Mais passons sur le dénigrement des pauvres, des binoclards et des bidasses cul-terreux, puisque le politiquement correct n'a encore rien prévu les concernant. Sitôt que le niveau d'indignation convenable sur ces sujets nous aura été indiqué, soyez certain que les RPH de tout temps et de tout lieu viendront faire retentir une protestation aussi vertueuse que réglementaire.
Pour le dire plus simplement : ce "négresse" n'est pas une erreur de style, et disant cela nous avons fait le tour de la question.

Écrit par : Jidé | samedi, 25 février 2006

Vous êtes, Jidé, "un suffisant lecteur" (Montaigne I, 23), espèce plutôt rare, alors que les lecteurs suffisants — et néanmoins frileux — sont légion. Merci pour cette glose alerte, qui me dispense de plus amples justifications !

Écrit par : C.C. | dimanche, 26 février 2006

cette citation est ironique et vos liens le sont aussi. vous même êtes donc ironique ou couillon ?

Écrit par : paul | dimanche, 26 février 2006

I(ro)nique ET c(ouill)on, pourquoi pas, si cela peut vous faire plaisir.

Écrit par : C.C. | dimanche, 26 février 2006

Que quelqu'un m'explique cette polémique !

Sinon, dans "Le Monde", journal si poli, les journaleux font précéder les patronymes de l'abréviation M. (quand c'est un monsieur naturellement).

Du reste, dans Le Monde d'hier (daté du 28 février 2006), j'ai trouvé une faute de conjugaison. Comme quoi, même avec les meilleurs correcteurs du monde de la langue française parlée en France métropolitaine de Paris et des environs immédiats (ils se présentent un peu comme ça les gars, quand même), il demeure des fautes. Ah ah ah.
Je ne résiste pas au plaisir de citer ce grand journal (p. 10, article titré "M. de Villiers a été expulsé de la tête du cortège, le FN est resté discret") :

"De Villiers t'a (sic) rien à faire ici !"

Dommage pour ce journal de référence que je ne lis jamais, c'étaient les premières lignes que je lisais depuis longtemps. J'ai refermé le canard aussi sec.

Écrit par : dvx | mardi, 28 février 2006

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