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samedi, 24 septembre 2005

Ail de basse cuisine

Dans ce pays où l'on mange de plus en plus mal, où personne ne semble plus savoir cuisiner, le discours des chroniqueurs gastronomiques se fait de plus en plus indigeste. Tel s'ébaubit sottement devant l'infra-ordinaire, retrouve le goût "authentique" du rutabaga ou du topinambour — cette horreur carminative dont on régalait naguère les cochons ; tel autre se pâme en évoquant d'incomestibles kitscheries relevant de la "cuisine ornementale". Ah ! cette "chantilly pistache-roquette Izarra structurée par une pomme verte râpée" ! Et cette insupportable rhétorique, ce crétinisme snobinard, cette verbigération satisfaite et imbécile : "... un plat extrêmement dégagé, d'une totale lisibilité". Qu'est-ce que ça veut dire ? De qui se moque-t-on ? À "la cuisine du revêtement et de l'alibi" (Barthes, Mythologies) a succédé la cuisine du logogriphe et du radotage.
Relisons plutôt les truculences délirantes d'Alexandre Dumas, ou l'éloge du mouton par Delteil : "Cet opulent, ce baroque, ce mérovingien, qui pue hautement le benjoin, l'azote en chaleur et le pissat mâle, qui vous suffoque le nez et vous affole le fondement." (La Cuisine paléolithique, Robert Morel, 1972)

Commentaires

Ces chroniqueurs de basse cuisine auraient-ils lu Barthes ?

Écrit par : Ray | samedi, 24 septembre 2005

Le style de Barthes est assurément marqué par un certain maniérisme, qui peut agacer. Toutefois, le précieux, chez lui, est toujours au service du précis. Le mot rare, le goût de l'étymologie, l'élégance syntaxique ne visent qu'à traduire le plus exactement possible les mouvements d'une pensée alerte et subtile, moins byzantine qu'on ne veut bien le croire — en tout cas, jamais creuse ou banale.
Chez nos journalistes, il s'agirait plutôt d'une forme de psittacisme, de garrulité chic et parfaitement vide...

Écrit par : C.C. | samedi, 24 septembre 2005

C'est un paradoxe français : le pays de la grande cuisine regorge de mauvais chroniqueurs de la mauvaise cuisine. Mais à vous lire, nous découvrons qu'il en est encore de bons pour parler des mauvais et nous donner faim de lire...

Écrit par : Le Uhlan | dimanche, 25 septembre 2005

A propos de mal manger et de «bien écrire», je songe en vous lisant à Huysmans...
À vau-l'eau, par exemple, et le voyage au bout de la nuit des écuelles de Jean Folantin...

J'espère que vous avez bien dîné,
cordialement,
Gaspar

Écrit par : Gaspar | dimanche, 25 septembre 2005

oui je plaisantais bien sûr, derrière une vague de la force de celle de Barthes, de l'écume il ne reste que quelques mauvais épigones ; c'est amusant de noter que le jargon creux et spectaculaire va parfois nourrir ses clichés de si fortes pensées

Écrit par : Ray | dimanche, 25 septembre 2005

Tous ces messages mériteraient réponses, commentaires et développements... Faute de temps — ou englué dans une paresse rédhibitoire — je me dédouane auprès des "amis inconnus" en leur adressant ces quelques vers de Supervielle :
"Pardon pour vous, pardon pour eux, pour le silence
Et les mots inconsidérés,
Pour les phrases venant de lèvres inconnues
Qui vous touchent de loin comme balles perdues,
Et pardon pour les fronts qui semblent oublieux."

Pour revenir très rapidement sur Huysmans, à propos de la cuisine : à noter, l'opposition (ou complémentarité) intéressante entre la sophistication frelatée du "repas noir" dans "À rebours" et les préparations roboratives et savoureuses de la "maman Carhaix" mentionnées dans "Là-bas" — pot-au-feu, salade de céleri, de hareng et de bœuf. Ici, peut-être, l'esquisse de valeurs antinomiques fondant toute dialectique du savoir-manger...
Sur les relations encore entre littérature et cuisine, lire ou relire le beau texte de Maryline Desbiolles, "La Seiche" (Points-Seuil) : une écriture sensuelle et intelligente, sans mièvrerie ni affectation intellectuelle chichiteuse...
C.C.

Écrit par : C.C. | lundi, 26 septembre 2005

Les commentaires sont fermés.