lundi, 10 février 2014
Pluviôse
Pluviôse, le bien nommé — si avril est "le plus cruel des mois", février est assurément l'un des plus tristes, avec ses journées grises, ses boues, ses brouillards, ses "ragas" qui détrempent labours et pâtures. On s'abandonnerait facilement à la "marinade", n'étaient les livres, les "bons hôtes muets" de nos bibliothèques. Ma table — je n'ose dire de travail — est encombrée des volumes parcourus ces derniers jours, pour y rechercher quelque référence, ou feuilletés pour une lecture à la billebaude.
Quelques découvertes : Cristina Campo, Catherine Pozzi — l'œuvre la plus mince qu'on puisse imaginer, mais deux ou trois poèmes somptueux, comme ce "Vale", d'une élégance quasi maniériste : "Quand dans un corps ma délice oubliée / Où fut ton nom, prendra forme de cœur / Je revivrai notre grande journée, / Et cette amour que je t'avais donnée / Pour la douleur." (Très haut amour. Poèmes et autres textes, Poésie/Gallimard, 2010) — ou encore Emily Dickinson, que — dois-je l'avouer à ma grande honte ? — je n'avais jamais lue. On apprend dans la préface de Car l'adieu, c'est la nuit (Trad. et présentation Claire Malroux, Poésie/Gallimard, 2011) que les premiers critiques américains jugeaient ses textes soporifiques et lui reprochaient de "crocheter des appuie-tête". Ce qui relève, sinon de la sottise, du moins de l'erreur de jugement. Là aussi des formules admirables : "... shorter than the Day / I first surmised the Horses' Heads / Were toward Eternity". La plupart de ces poèmes, elliptiques et allusifs, ne recourent à d'autres marques de ponctuation que le tiret : on retrouve ce tic, ou ce procédé, chez Marina Tsvétaïéva, sutures typographiques qui révèlent les coupes claires opérés dans le buissonnement des mots.
Pêle-mêle, encore : Sapphô, Kiki Dimoula, Gaspara Stampa ; des choses déjà lues — Entre chien et loup (André Blanchard, carnets avril-septembre 1987, Le Dilettante, 2007), La Voix et l'ombre (Richard Millet, Gallimard, "L'Un et l'Autre, 2012), dans lequel on apprend que "lorsqu'elle chantait, Marceline Desbordes-Valmore était [...] si émue par sa propre voix qu'elle était interrompue par ses sanglots" ; des choses pas encore lues — de Millet, toujours, Le Cavalier siomois (La Table Ronde, 2004) ou Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock (Le Livre de Poche, 2013). Un bref avertissement liminaire de l'éditeur français nous apprend que ce cousin de Tristan Egolf, Larry Brown, Chris Offutt et quelques autres a commencé à écrire à 50 ans, après avoir travaillé pendant trente-deux ans dans une usine de pâte à papier. Il y a là quelque logique. En France, aujourd'hui, il semblerait que la plupart de nos auteurs — en général beaucoup plus précoces — n'ont guère connu d'autre usine que la "fabrique du crétin"...
21:32 Publié dans Mes inscriptions | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Emily Dickinson découvert grâce à Cioran. 1992
André Blanchard. 1993, les éditions Erti, des livres magnifiques.
Écrit par : Serge Diot | mercredi, 12 février 2014
On a tous découvert Emily Dickinson bien tard, trop tard.
Intéressant de lire la présentation et les poèmes choisis par Alain Bosquet, dans la collection Poètes d'aujourd'hui chez Seghers (1957) et aussi une correspondance « Autoportrait au roitelet » traduite par Patrick Reumaux (Hatier).
Aujourd'hui, on a accès à beaucoup de traductions (Claire Malroux, et Françoise Delphy pour les poésies complètes). Malheureusement, les traductions sont décevantes, parfois ratées. Faut dire que la traduction d'une écriture aussi concise, elliptique et très moderne pour l'époque, bien avant Rimbaud, relève pour ainsi dire de l'impossible.
« Les étoiles ne sont pas héréditaires » Emily Dickinson
Christiane Loubier
Écrit par : Christiane Loubier | jeudi, 13 février 2014
De telles notes, ça ravigote!
Écrit par : Grapheus | mardi, 18 février 2014
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