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lundi, 07 septembre 2009

"Vous n'aimez rien tant que les pompes de l'Église"

Avant de quitter mon pays de vache pour aller découvrir les joies de l'internat — dans le lycée même qui avait accueilli quelques décennies plus tôt Charles-Louis Philippe et Valery Larbaud —, je fus deux ou trois ans enfant de chœur. L'église, c'étaient d'abord des odeurs : celles, mêlées, de l'encens, de la cire et de l'encaustique, le parfum entêtant des fleurs marcescentes dont les pétales jonchaient la nappe d'autel, le bouquet subtil et fruité du pouilly-fuissey, que notre curé avait choisi pour vin de messe. Ledit curé n'avait d'ailleurs, pour autant qu'on pût en juger, rien d'un jouisseur ni d'un gourmet : souffreteux et maussade, fragile de la gorge, il suçait des pastilles "Euphon" — je me rappelle la boîte rouge sombre, dont le couvercle, festonné d'une grecque, montrait un masque grimaçant de comédie antique. Je me souviens également d'une phrase, prononcée au cours d'une de ses homélies, qui m'avait profondément troublé — et avait dû, j'imagine, plonger nombre de ses ouailles dans des abîmes de perplexité : "Le ciel n'est pas un lieu, c'est un état." Propos rien moins qu'hétérodoxe, comme j'ai pu m'en assurer beaucoup plus tard en consultant le dictionnaire de théologie de l'abbé Bergier : "Il paroît donc que le paradis est moins un lieu particulier qu'un changement d'état, et qu'il ne faut point s'arrêter aux illusions de l'imagination qui se figure le séjour des esprits bienheureux comme un lieu habité par les corps."

Commentaires

Marrant parce que je suppose que j'ai quelques lustres de moins que l'auteur de cette note, et aurais pourtant pu la signer, sauf que mon curé suçait des pilules sorties d'une boîte "Euphon" de couleur marron.

Dante situe le jardin d'Eden aux antipodes de Jérusalem, à quelques milliers de kilomètres de l'île de Pâques environ, par conséquent. Et il n'est pas interdit de tenir Dante pour un théologien plus sérieux que l'abbé Bergier. Au risque de paraître oiseux une nouvelle fois, il faut préciser que la théologie de Bergier est soutenue par un préjugé philosophique cartésien, tandis que celle de Dante est plus aristotélicienne.

Enfin, l'idée d'une ligne théologique catholique fixe date du XIXe siècle, époque où l'Eglise catholique s'est pétrifiée, surpassée par une autorité religieuse/spirituelle plus puissante, l'Etat.
Ce qui caractérise le catholicisme au cours des siècles, ce n'est pas sa rigidité doctrinale ou son conservatisme, mais sa souplesse au contraire.
A chaque grande révolution intellectuelle hors de son sein au cours des siècles, bonne ou mauvaise ce n'est pas le problème en l'occurrence, l'Eglise a "répliqué" en important le changement et en lui apposant le label "catholique".
Je pense qu'il est assez aisé de comprendre que la théologie de Dante n'a à peu près rien à voir avec l'ultime de Benoît XVI, bien qu'ils soient tous les deux "catholiques".

Écrit par : Lapinos | mercredi, 09 septembre 2009

"Chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même..."
Je veux bien croire que vous auriez pu signer cette note, mais j'ai le sentiment que nous n'avons pas tout à fait les mêmes lubies — et que nous ne parlons pas vraiment de la même chose !

Écrit par : C.C. | jeudi, 10 septembre 2009

Je n'ai pas été enfant de choeur, mais ce "Le ciel n'est pas un lieu, c'est un état." me va très bien !

Écrit par : Ray | vendredi, 11 septembre 2009

Va pour le ciel ! Mais l'enfer, où j'ai déjà retenu ma place, qu'en dit l'abbé Bergier?

Écrit par : RPH | vendredi, 11 septembre 2009

L'article ENFER est un peu long. On peut en retenir ceci, qui reste dans le fil de notre propos : "De savoir en quel lieu de l'univers est situé l'enfer, c'est une question tout au moins inutile ; la révélation ne nous l'apprend point ; les conjectures des philosophes et des théologiens sur ce sujet sont également frivoles. Les uns ont trouvé bon de placer l'enfer au centre de la terre, sans doute à cause du feu central ; les autres dans le soleil, qui est le centre du système planétaire ; est-ce donc là le feu allumé dans la colère du Seigneur ? Quelques rêveurs ont cru que les comètes sont autant d'enfers différents, quelques autres ont poussé la témérité jusqu'à donner les dimensions de cet affreux séjour.
Il nous paroît mieux de nous en tenir à la sage réflexion de saint Augustin : Lorsqu'on dispute sur une chose très-obscure, sans avoir des enseignements clairs et certains, tirés de l'Écriture sainte, la présomption humaine doit s'arrêter, et ne pencher pas plus d'un côté que d'un autre."

Écrit par : C.C. | samedi, 12 septembre 2009

J'admets volontiers que la lubie que j'ai de Dante m'est venue en réaction contre les curés qui suçotent des pastilles Euphon et l'arithmétique théologique fin de siècle (dans mon souvenir c'était la bobine de quelque sophiste -Platon ?- qui figurait sur le couvercle Euphon).

Constat assez simple à faire : le poème théologique de Dante s'appuie sur des connaissances philosophiques et scientifiques assez profondes (cf. "Le Banquet"). Tandis qu'au moment où Bergier s'exprime, l'Eglise catholique est déjà dans un état de décomposition intellectuelle avancé. Aucune religion au cours des siècles n'a duré sans assise scientifique/artistique solide. L'épicurisme coïncide avec la décadence grecque, plus encore que Socrate, et Epicure n'a justement qu'un vague réflexe scientifique.

Il me semble que même un poète qui vit dans sa bulle peut comprendre que, question de philosophie ou de poésie chrétienne, le moyen âge est un pic d'où l'Eglise est redescendue depuis longtemps. Déjà au XVIIe on est dans l'ère du prêche.
Votre hostilité, Copronyme, exprime une vérité : l'incompatibilité absolue de l'histoire et de la philologie.

Écrit par : Lapinos | samedi, 12 septembre 2009

Aucune hostilité à votre endroit dans mes propos, je vous assure, cher Lapinos. Simplement, je n'ai guère de goût ni de talent pour les disputations philosophico-théologiques — et mon peu de culture en ce domaine explique sans doute ma perplexité devant certaines de vos notes...

Écrit par : C.C. | samedi, 12 septembre 2009

À propos de l'enfer, cette citation d'Henri Fauconnier, recueillie par Gabriel Pomerand dans le "Petit Philosophe de poche" :
"Les catholiques envisagent l'enfer sans en mourir, c'est plus confortable que rien."

Écrit par : C.C. | samedi, 12 septembre 2009

Le plus mathématique n'est pas l'enfer mais le purgatoire, qui plus spécifiquement vise à expliquer où séjournent les âmes dans le délai qui nous sépare du Jugement.

L'inconscient dans l'animisme freudien remplit la même fonction d'atténuation de la responsabilité que le purgatoire. La conception génétique qui s'accorde avec celle de Freud n'est qu'une sorte de pré-jugement ou de pré-destination (de la terre à la terre). Il faut remarquer que l'idée de Freud que notre âme nous échappe en partie est beaucoup plus primitive et abstraite que la manière de Dante de se demander plutôt où notre âme s'échappe séparée de notre corps après notre mort. Freud croit aux fantômes, pas Dante, qui n'est pas si loin que ça de la vision historique de Shakespeare.
La chronologie ne permet pas que Shakespeare soit beaucoup plus scientifique que Freud, mais l'histoire, elle, indique qu'il l'est.

Écrit par : Lapinos | lundi, 14 septembre 2009

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