Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 28 mai 2019

Les langages de Thrasybule

Lorsque Thrasybule l'Erratique — encore innommé et vaguement farouche — commença de fréquenter notre jardin, nous le crûmes mutique. Il ne miaulait ni ne ronronnait ; traumatisé, peut-être, par un abandon récent ou de possibles sévices, il manifestait en outre une curieuse phobie des chaussures, dont il ne s’est pas complètement guéri, considérant avec méfiance sabots et pantoufles.
Aujourd'hui, le timide chat, bien installé, a pris possession des lieux ; ses caprices règlent désormais le train de notre vie domestique — de la "ménagerie", eût dit Montaigne. S’il n’est pas excessivement démonstratif ni affectueux, il témoigne du moins sa satisfaction — lorsqu'il est repu ou qu’on le brosse — par un ronron discret et, assis sur son cul, un petit dandinement de poussah.
Mais surtout, il a pris conscience des pouvoirs du langage et développé le sien propre, sur un triple registre, en fonction de ses attentes, de ses exigences ou de ses foucades.
Ignorant le vanum est vobis ante lucem surgere du Psalmiste — et se levant, comme la Pernette, "trois heures devant jour", Thrasybule manifeste ainsi son désir de sortir par un très bref et faible miaulement, presque timide : "Désolé de vous réveiller, mais je dois aller faire ma ronde matinale." La sollicitation, quoique courtoise, sera réitérée, si nécessaire, un peu plus fermement, soulignée par un griffage énergique du crapaud de la chambre ou de quelque tapis
Plus tard, le miaulement se fera plus sonore, insistant et prolongé, quasiment tragique, pour réclamer pâtée ou croquettes, beurre au petit-déjeuner ou autres béatilles, au hasard des menus de la maison. Le message, fortement injonctif, s’accompagnant alors de diverses gesticulations et frôlements témoignant d’une impatience gourmande à son paroxysme. Et il y a enfin le noli me tangere, grave, retenu, comme un feulement qui grimpe jusqu'au falsetto comminatoire. Cela se produit le plus souvent à l’extérieur, plus rarement lorsqu'on pousse la porte d’entrée. Réflexe, sans doute, de défense d’un territoire qu’il a fait sien suite à un balisage urinal quotidiennement confirmé. C’est l’unique avertissement avant l’attaque toutes griffes dehors, la queue battant les flancs furieusement. C’est, mordant et lacérant mollets, chaussures ou pantalon de la victime, Rodilardus retrouvé — le "grand chat Soubelin attaché au demy bas des chausses de Panurge".