Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 13 janvier 2014

Le sens de l'épigraphe 2

Alice ne voyait pas l'intérêt d'un livre dépourvu de dialogues et d'illustrations — "a book without pictures or conversations".
Pour ce qui me concerne, j'ai le sentiment qu'il manque toujours un petit quelque chose à un livre sans épigraphe, le granum salis qui instaure d'emblée une connivence avec le lecteur, pique sa curiosité ou l'invite, discrètement, à l'approche ironique d'un texte "marqué d'une essentielle précarité" (cf. Michel Charles, Rhétorique de la lecture). Il y aurait une étude à faire sur le rôle — les "enjeux", diraient nos universitaires — de l'épigraphe dans le roman "policier".
L'Irlandais Sam Millar procède, dans Poussière tu seras (The Darkness of Bones, Brandon, 2006 — trad. Patrick Raynal, Points/Policier, 2013), à une farcissure systématique du récit, affectant à chacune des deux parties — de dimensions très inégales — et à chacun des quarante-quatre chapitres du livre — certains très brefs — une citation empruntée à la Bible ou à un catalogue d'auteurs des plus éclectiques : W.-H. Auden, Samuel Beckett, William Blake, Samuel Butler, Lewis Carroll, Coleridge, Dickens, Dostoïevski, T.-S. Eliot, Khalil Gibran, Mary Howitt, Samuel Johnson, La Fontaine, Longfellow, Lovecraft, Thomas Mann, Marianne Moore, Milton, Nietzsche, Pope, Edmund Spenser, Swinburne, Albert von Szent-Gyorgyi, Bayard Taylor, Tennyson, James Thomson, Updike, Voltaire, John Webster, Oscar Wilde. Façon jubilatoire de nous rappeler que, de même "qu'un tableau — avant d'être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote — est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées" (Maurice Denis), une œuvre littéraire n'est faite que de mots, de thèmes et de schèmes constamment repris, réarrangés, dont la combinatoire infinie se confond avec la littérature même.
Sam Millar épuise le procédé en le poussant jusqu'à l'absurde. D'autres auteurs se contentent d'une référence révérencieuse — jusqu'à quel point ? —, tenant à la fois de l'hommage et de l'invocation propitiatoire. Gerard Donovan (Julius Winsome, trad. Georges-Michel Sarotte,
Points/Policier, 2010) se place ainsi sous le parrainage de Marc-Aurèle, tandis que Gianrico Carofiglio (Témoin involontaire, trad. Claude Sophie Mazéas, Rivages/Noir, 2012) cite Lao Tseu : "Ce que la chenille appelle la fin du monde, le reste du monde l'appelle un papillon." L'apophtegme resurgit dans le cours du récit, sous la forme d'une inscription qu'on peut lire sur le tee-shirt d'une des protagonistes. En revanche, on n'en retrouve pas la trace dans le Livre de la Voie et de la Vertu, du moins dans aucune des versions que j'ai pu consulter. Citation vraisemblablement apocryphe, dont le principe s'apparente néanmoins à celui de l'argumentum ad verecundiam : Lao Tseu, comme l'éléphant de Vialatte, est irréfutable.

dimanche, 05 janvier 2014

Sombre dimanche

Veillée mélancolique.
Une musique, un livre, un verre.

Requiem de Thierry Lancino — chant désespéré de la Sibylle :
"Et moi je ressemblais à une cigale et ne pouvais mourir
[...]
"Les destins ne laissent aux corps qui vieillissent que le souffle sur les lèvres
Et aux morts que le silence qui les engloutit"

Poésie verticale de Roberto Juarroz :
"Tandis que tu fais une chose ou l'autre,
quelqu'un est en train de mourir
[...]
si l'on t'interroge sur le monde,
réponds simplement : quelqu'un est en train de mourir."

Laphroaig — whisky funèbre :
"Le whisky [...] une boisson de mort, le goût de la tourbe nous ramenant à notre poussière." (Richard Millet, La Voix d'alto)

Pas bien gai, tout ça...

mercredi, 01 janvier 2014

Papiers journaux 2

Stendhal — "Mon jour de l'an s'est fort bien passé, il fait un froid sec magnifique, mais un peu dur." (Journal, 1er janvier 1811)

Edmond de Goncourt — "J'entre maintenant, avec terreur, dans l'année qui vient. J'ai peur de tout ce qu'elle a de mauvais, en réserve, pour ma tranquillité, ma fortune, ma santé." (Journal des Goncourt, 1er janvier 1876)

Jules Renard — "Je veux faire une année exceptionnelle, et je commence par me lever tard, par trop bien déjeuner et par dormir dans un fauteuil jusqu'à trois heures." (Journal, 1er janvier 1896)

Raymond Queneau — "Belle et bonne journée, paisible et familiale." (Journal de guerre, 1er janvier 1940)